Karl Marx
Lire « Le Capital » avec un regard neuf

En 2018, Karl Marx fêterait son deux centième anniversaire. En ces temps de crise climatique, de sous-emploi chronique et d’inégalités mondiales, sa critique du capitalisme semble plus actuelle que jamais. Une bonne raison d’y jeter un coup d’œil rétrospectif, et de la lire avec un regard neuf.
De Mathias Greffrath
Karl Marx est l’un des théoriciens de l’histoire dont les théorèmes se sont aujourd’hui largement imposés. Les outils et les modes de production d’une société déterminent sa structure politique et sociale, et la pensée humaine est façonnée par l’utilisation des outils, alors que les attitudes morales le sont par les intérêts. Ces constats tirés par Marx et Engels, qu’ils baptisèrent matérialisme historique, ont marqué le début de nombreuses disciplines : sociologie, pédagogie, psychologie, sciences des religions, jurisprudence, littérature, ingénierie, ainsi que sciences cognitives pour n’en citer que quelques-unes.
Les Capitalistes sont le moteur du système
Avec Le Capital, Marx revendique la découverte de « la loi économique du mouvement de la société moderne ». Il s’agit d’abord d’une loi progressiste : l’économie stimulée par les capitaux a (comme le pronostique l’esquisse du Manifeste du parti communiste) « créé des forces productives plus nombreuses, et plus colossales que l'avaient fait toutes les générations passées prises ensemble », elle a promu la technique et la science et a façonné le marché mondial. Cependant, les acteurs de cette économie, les capitalistes, en sont le moteur : face aux dangers de la banqueroute, ils doivent développer des forces de production, perpétuer les innovations et obtenir de leurs employés un rendement maximal, exploiter les matières premières de ce monde le plus rationnellement possible et les transformer en biens de consommation. C’est ainsi que le capitalisme remplit les conditions pour un monde sans pénurie ni famine. Cependant, cette méthode de production soumise à des contraintes systémiques de maximisation de la plus-value et de croissance ne peut, à long terme, enrichir la société « qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. »
Un fin probable du Capitalisme
Pendant plus de cent ans, le slogan aux accents martiaux de la socialisation, voire d’une dictature prolétaire, a mené les économistes bourgeois à rejeter de manière dogmatique les plus grandes conclusions de Marx en sa qualité de macroéconomiste (pour citer Hans-Werner Sinn), tout particulièrement ses contributions aux théories de croissance, des crises et de la mondialisation. La fascination autour de la théorie du capitalisme de Marx s’explique d’une part par la profusion d’éléments historiques qui émanent du dit capitalisme. Mais surtout par le regard global qu’il porte au processus économique d’autre part : alors que les modèles des économistes traditionnels réduisent l’économie au processus de marché, la représentation marxiste du mécanisme du profit considère le développement des technologies, les conditions de travail, la confrontation sociale et les conséquences culturelles de la gestion des marchandises comme un grand récit plausible de la dynamique capitaliste, jusqu’à sa fin probable.
Des contraintes créées par l'homme
L’utilisation pratique de la « critique de l’économie politique » consiste à mesurer le sol sur lequel nous nous tenons et à critiquer les termes qui nous empêchent de regarder la réalité. « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une « immense accumulation de marchandises ». » Cette première phrase de l’œuvre de Marx montre déjà en elle-même en quoi consiste la critique : rendre évidente la tension entre ce que nous entendons (et voulons entendre) sous la notion de richesse et sa forme capitaliste. Le Capital révèle la violence cachée qui a fait naître le capitalisme ainsi que les véritables sources de richesse : le travail, la coopération, les connaissances et les capacités qu’une société développe de génération en génération. La théorie du système de Marx montre les crises et les catastrophes que doivent affronter les sociétés si elles forcent ces sources de prospérité dans les canaux étroits de la valorisation du capital. C’est pourquoi elle est tout sauf fataliste ou mécanique. À la fin de la lecture, un constat s’impose : les contraintes auxquelles nous sommes soumis sont créées par l’homme, et peuvent donc être modifiées par l’homme. Elles doivent par ailleurs être modifiées si nous ne voulons pas que la Terre devienne un désert et que les hommes soient réduits à un simple appendice une machine à bénéfice, si nous ne voulons pas que les sociétés soient obligées de vivre en-deçà de leurs possibilités.
RE:Das Kapital. Politische Ökonomie im 21. Jahrhundert – ce livre publié aux éditions Kunstmann et écrit sous la direction de Mathias Greffrath reprend les recherches d’économistes, de philosophes, de spécialistes des sciences sociales et de journalistes autour des principales déclarations et catégories reprises dans Le Capital (exploitation, automatisation, révolution, monopole, plus-value, résistance, violence, nature, coopération, aliénation) et met leur utilité à l’épreuve pour comprendre de manière approfondie le présent. Parmi les auteurs, on retrouve Etienne Balibar, Paul Mason, Michael Quante, Sahra Wagenknecht, Hans-Werner Sinn, Elmar Altvater, John Holloway, Robert Misik, David Harvey, Wolfgang Streeck.