"L'électro? Ce n'est pas de la musique. Et les DJs ne sont pas des artistes." C'est ce que pensaient deux musiciens de Kinshasa jusqu'à ce qu'ils assistent au festival Pop-Kultur à Berlin. En novembre 2015, la première fête techno a eu lieu dans la troisième plus grande ville d'Afrique.
Deogracias Kihalu tente de donner de la voix pour se faire entendre. Il chope le micro. Il veut annoncer son programme. Du haut de ses 33 ans, il se place derrière une petite console de DJ dans un coin du petit club, le « Whatsapp », situé en face de l'Académie des beaux arts de Lingwala, Kinshasa. Ses yeux passent les invités au scanner. Pas évident d'attirer l'attention des fêtards. Il semble tendu. Mais la raison est évidente : c'est quand même la première fois qu'il organise une soirée techno à Kinshasa. C'est avec la percussionniste Huguette Tolinga qu'il donne aujourd'hui une performance en direct : musique électro, vidéo personnelle de la ville et sampling en direct. À cela les congas de Huguette. Techno et tambours à Kinshasa. Ça marche ?
Atelier DJ au festival « Pop-Kultur »
Les deux artistes sont tombés accros à la techno au nouveau festival en vue de Berlin le « Pop-Kultur-Festival ». C'est là qu'ils ont participé au programme destiné à la relève. Musiciens et musiciennes, producteurs et productrices ainsi que d'autres acteurs de la sphère musicale venus du monde entier ont eu la possibilité de postuler. En trois jours, 150 participants ont obtenu un aperçu du secteur de la musique. Grâce à des bourses, le Goethe-Institut a permis à 10 candidat(e)s venu(e)s de pays en voie de développement de participer. Deux artistes de Kinshasa furent invités. Pour Huguette Tolinga, 27 ans, c'était la première fois qu'elle quittait son pays d'origine. « Je me suis sentie très très bien », se rappelle-t-elle. « Je suis une artiste et je travaille dur. Mais je n'aurais jamais pensé qu'ils m'inviteraient car nous étions vraiment de nombreux candidats. »
Outre de nouveaux contacts et de vigoureux concerts au « Berghain », club culte berlinois situé dans une ancienne centrale thermique, le programme pour la relève a proposé des formations sur mesure : pour Huguette, ce fut la radio ; Deo, qui organise régulièrement des concerts avec le collectif « Sadi » à Kinshasa, fit un stage dans une institution culturelle. Mais avant tout ils ont tous les deux profité de l'atelier DJ. Pour la première fois, ils se sont essayés au turntables, aux logiciels de sampling et à d'autres techniques de la production de musique électronique, une journée entière seulement. Cela a suffi pour aboutir à la première soirée électro de la ville.
Et le public congolais ?
Il est rare que les clubs congolais s'inspirent des tons de la techno minimaliste berlinoise. C'est plutôt le hip-hop et le rap qui dominent. Mais ces styles musicaux sont également peu présents dans le registre sonore de la ville qui se dédie depuis les années 1940 au Soukou, la rumba congolaise. Même chez Huguette, très sceptique au début : « autrefois, je pensais que les DJ n'étaient pas des musiciens, qu’ils passaient simplement des CD les uns après les autres et jouaient pour n'importe quelle fête. Et ce, sans maîtriser non plus un instrument. » Après l'atelier, son avis est différent : « la définition du DJ n'est pas figée. En principe, on crée de la même façon qu'en tant que musicienne. » Appuyer sur des boutons, rester dans le rythme, improviser sur des beats enregistrés : dans le fond, elle ne fait pas autre chose en tant que percussionniste de congas que lorsqu'elle produit de la musique avec un logiciel.
C'est maintenant le baptême du feu au « Whatsapp ». Deo allume le petit écran suspendu au mur. Une vidéo commence en même temps que les basses vrombissent des haut-parleurs du bar. « Pour la vidéo, je suis allé dans les quartiers les plus pauvres. », explique Deo. « Mon objectif était de présenter Kinshasa comme une énorme pagaille, comme une place du marché. » Les gens marchent dans les rues, les bus empêchent la vue, c'est bruyant et agité. Les klaxons omniprésents des mobylettes et des voitures passent en boucle.
Le public ne sait pas vraiment ce qu'il doit tirer de cette vidéo et de la performance sonore. « Beaucoup n'ont pas compris ce que venait faire la vidéo avec la musique » croit-il. « C'est peut-être dû à la vidéo. La prochaine sera mieux, moins longue ». Huguette se met ensuite à ses combas, un ami se charge de l'ordinateur. C'est ainsi que se produit un mélange sur lequel on peut danser, composé des tonalités acoustiques des tambours et des sons produits de manière électronique. La foule se met doucement à bouger en rythme. Il est encore tôt dans la nuit de Kinshasa.