100 ans de Bauhaus
CONCEPTION D’UN STYLE DE VIE

L’école d’art Bauhaus voulait mettre un art d’avant-garde au service de la création d’espaces de vie sociaux et donc bon marché. Son objectif principal était de concevoir des designs révolutionnaires pour redéfinir le style de vie dans une société en pleine mutation.
De Nadine Berghausen
Si vous rêvez d’orner votre salon d’une pièce Bauhaus classique – disons une chaise cantilever de Marcel Breuer ou une lampe signée Wagenfeld –, vous avez peut-être déjà été choqué par le prix de ces objets design, aujourd’hui encore très en vogue. Ces prix semblent paradoxaux au vu des intentions des artistes, qui visaient à créer des pièces de mobilier précisément pour leurs concitoyens moins aisés. Mais il n’y a pas que la valeur monétaire qui a changé, la finalité même des œuvres Bauhaus a été réinterprétée. La portée révolutionnaire de leur élégance épurée s’est aujourd’hui effacée au profit d’une image qui se veut chic avant tout. Et ce, alors que c’est justement le message original qui exprime les valeurs que le Bauhaus a choisi à sa fondation en 1919 : la modernisation radicale de la vie quotidienne par la création d’un nouveau cadre de vie.
Le Bauhaus est fondé au sein d’une société qui ploie sous le poids des conséquences de la première guerre mondiale et de l’industrialisation de l’activité économique. Inflation, famine, chômage et pénurie de logements, ainsi que l’agitation sociale qu’ils génèrent nourrissent le désir de réorienter la société. Ce cadre politique et social donne naissance à un groupe d’artistes sous l’impulsion de l’architecte Walter Gropius, futur fondateur du Bauhaus de Weimar. Il est d’avis qu’une personnalité créative doit canaliser l’énergie de ce chaos social désastreux vers une vision créatrice. En parlant de l’architecture, il déclare : « La construction est la conception d’un style de vie. » Plus d’un critique lui reprochera d’être l’esclave de son utopie romantique.
UNE Modernisation radicale de la vie
Contrairement au mouvement anglais Arts-and-Crafts, qui idéalise le Moyen-Âge et retourne aux formes du gothique, le Bauhaus se donne pour objectif d’œuvrer dans le sens d’un renouveau artistique. Des groupes d’artistes de disciplines diverses s’attachent à créer des objets susceptibles de façonner la culture de demain. Ils collaborent d’abord principalement avec des artisans et s’approprient par la suite les machines industrielles à partir de la deuxième période du mouvement, le Bauhaus de Dessau. Gropius écrit dans le manifeste du Bauhaus : « Le but de toute activité plastique est la construction ! […] Architectes, sculpteurs, peintres, nous devons tous revenir au travail artisanal ! […] L’artiste est une évolution de l’artisan. »Étant donné que les artistes du Bauhaus voulaient avant tout améliorer les conditions de vie des couches défavorisées de la population, leurs œuvres se voulaient abordables pour tous. Ils cherchaient à ce que leurs objets soient compatibles avec une production de masse bon marché. C’est la raison pour laquelle le Bauhaus est caractérisé par des formes qui avaient jusqu’ici largement été ignorées. L’utilisation prédominante des formes géométriques primaires comme le carré, le cercle et le triangle était pour le moins inhabituelle. Quant à la palette des couleurs, elle se limite aux couleurs primaires rouge, jaune, bleu, noir et blanc. Suite à la visite d’une exposition d’architecture organisée par Gropius, le critique d’art Paul Westheim dira : « Trois jours à Weimar, et on développe une allergie au carré à vie. »
Artistique ? Pas avec le BAUHAUS !
Les principes du Bauhaus sont appliqués à la lettre : toute justification d’un design par l’art est irrecevable, cela va à l’encontre de l’idéologie. L’utilisation et la fonction donnent le ton au design, pas le style ou l’esthétique. Ces principes sont sans aucun doute source de conflits pour les professeurs du Bauhaus – nommés « maitres » dans le jargon du Bauhaus –, des artistes établis des beaux-arts qui viennent enseigner à Weimar et Dessau.C’est dans le design des objets quotidiens que ce nouveau langage artistique strict et novateur se fait ressentir le plus. Les services à thé et à café qui sont fabriqués dans l’atelier de métallurgie, par exemple, en témoignent : les éléments ne doivent et ne désirent pas être assortis pour constituer une œuvre artistique complète. Les pots à lait, sucriers et théières présentent des styles très variés et semblent parfois ne pas appartenir au même service. Cela est dû au fait que la fonction était déterminante pour la forme, et non l’image générale du service. La théière de Marianne Brandt n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’abandon des arts décoratifs. La devise « form follows function » existait certes avant la naissance du Bauhaus, mais elle y est aujourd’hui intimement liée.



DESIGN pour le grand public
Le style révolutionnaire qui a vu le jour au sein du Bauhaus sous la direction de Walter Gropius prendra une dimension plus sociale à partir de 1927, sous l’impulsion du nouveau directeur, Hannes Meyer. Le Bauhaus doit maintenant axer sa production encore davantage sur les besoins du peuple, sur le « prolétaire ». Sous l’égide de Meyer, la devise change : « Produits pour le peuple et pas produits de luxe ». La question cruciale est désormais : « De quoi ont réellement besoin les gens dans leur quotidien ? ». Les tapis font place aux revêtements de sol robustes. Les différents ateliers collaborent, par exemple quand il est nécessaire de développer des textiles solides pour les meubles en tubes d’acier.
