Bauhaus en France
Les idées du Bauhaus dans la société

L’artiste plasticien Mathieu Mercier a collaboré à l’exposition « L’esprit du Bauhaus » au musée des Arts décoratifs de Paris, en 2016. Il évoque l’influence de cette école sur les arts et le design, et sur leur enseignement.
Mathieu Mercier | Photo (extrait) © Bojana Tatarska
Aujourd’hui, on a l’impression que de nombreux artistes, designers, architectes ou graphistes sont influencés par le Bauhaus, explicitement ou non, mais de manière assez diffuse. Qu’en pensez-vous ?
Avant tout, la diffusion très large de la démarche et des questionnements du Bauhaus me semble caractéristique d’un héritage qui a réussi ! Après la fermeture définitive de l’école par les nazis, en 1933, les professeurs et les élèves se sont dispersés dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis. À Chicago, Ludwig Mies van der Rohe, ancien directeur de l’école, a conçu des bâtiments étonnants sur les berges de la rivière. Les idées et l’esprit du Bauhaus sont ainsi entrés dans la société et ont évolué ; c’est ce que souhaitaient ses fondateurs. En revanche, je ne suis pas certain que l’approche économique et politique explorée par l’école ait fait autant d’émules. Dans le contexte de la naissance de l’industrie où il travaillait, le Bauhaus avait des exigences en matière de qualité, de forme et de production qui n’ont pas toujours été perpétuées par ses héritiers. Les principes issus de l’école ont été confrontés aux limites et aux impasses du capitalisme industriel et de la production de masse, telles que nous les vivons encore actuellement. Cependant, lorsqu’on évoque l’héritage du Bauhaus, il ne faut pas oublier qu’il s’agissait avant tout d’un établissement d’enseignement orienté vers la pédagogie et la transmission, et non d’un mouvement. À ce titre, l’exposition des travaux des élèves pourrait être tout aussi intéressante que celle des œuvres de leurs professeurs.
Quelle est l’influence du Bauhaus sur l’enseignement de l’art tel qu’on le dispense actuellement ?
Dans la plupart des écoles d’art françaises, les élèves rencontrent plusieurs professeurs et travaillent avec eux selon leurs affinités et leurs disciplines de prédilection. Cela rejoint ce qui se pratiquait au Bauhaus, où les étudiants pouvaient passer d’un atelier à l’autre en se familiarisant avec tout un panel de techniques, principe qui favorisait le dialogue entre disciplines. De même, il y avait une place importante accordée à l’expérimentation et au travail en équipe, que l’on retrouve dans les établissements d’aujourd’hui. Derrière cet état d’esprit, on observe une tentative, commune aux différentes avant-gardes du XXe siècle, de penser l’art total, c’est-à-dire d’inclure toutes les formes et destinations de l’art dans un projet de société. Cette ambition est présente également dans le mouvement De Stijl, par exemple.
Votre propre démarche est-elle influencée par le Bauhaus, et si oui, à quel titre ?
Mon travail se développe à la croisée de plusieurs questionnements ; il n’est pas enfermé dans des catégories prédéfinies et, en cela, il peut s’apparenter au Bauhaus ou à d’autres avant-gardes. En 2012, j’ai aussi créé une pièce qui fait explicitement référence au Bauhaus, intitulée Sublimation (bougie / cercle chromatique), reprenant le cercle chromatique de Johannes Itten, enseignant de l’école.
Comment avez-vous choisi les œuvres évoquant l’héritage du Bauhaus présentées lors de l’exposition « L’esprit du Bauhaus », à laquelle vous avez contribué il y a trois ans au musée des Arts décoratifs de Paris ?
Parmi ces œuvres, très peu font directement référence au Bauhaus. La plupart des artistes exposés travaillaient à Berlin dans les années 1990. La ville était alors en pleine reconstruction, le paysage artistique très diversifié, et ces jeunes artistes avaient un rapport particulier à l’histoire de l’Allemagne. Comme les membres du Bauhaus en leur temps, ils s’interrogeaient sur la société dans laquelle ils voulaient vivre. Les pièces regroupées au musée des Arts décoratifs en 2016 font ainsi écho, à leur façon, aux questionnements du Bauhaus, par exemple dans l’usage de la couleur ou des formes simples.
Par ailleurs, aucun des artistes exposés ne dresse de hiérarchie entre arts « majeurs » et arts « mineurs ». Dans cette optique de décloisonnement, des objets fonctionnels peuvent relever de l’art décoratif, tandis que certains designers conçoivent des objets à vocation utilitaire qui ne sont plus fonctionnels du tout. L’autre point commun entre ces différents artistes, c’est leur rapport à la transmission : tous sont enseignants ou bien organisent des workshops, se situant, là aussi, dans l’esprit du Bauhaus.
On reproche parfois au Bauhaus d’avoir développé des principes architecturaux ayant donné lieu à la construction de bâtiments et d’ensembles peu accueillants. Pourtant, l’enseignement de l’école semblait orienté vers l’humanisme…
Je crois qu’il faut distinguer l’architecture de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. Le Bauhaus a mis au point des systèmes d’assemblage pour une construction pragmatique, mais l’utilisation de ces principes pour édifier de grands immeubles, comme ceux qui ont fini par former des ghettos urbains dans les banlieues françaises, n’est pas une fatalité ! En Allemagne, les mêmes techniques ont servi à concevoir de petits bâtiments de deux étages ou des maisons, par exemple dans le quartier de Tiergarten à Berlin. De façon générale, on ne peut pas « diaboliser » les idées du Bauhaus en elles-mêmes : tout dépend du contexte historique et social dans lequel elles sont mobilisées. Sur ce plan, le Bauhaus lui-même est enthousiasmant, car il avait un projet de société porté par une véritable croyance dans le progrès.