Coopératives d’activité et d’emploi
Coopérer : le contrat social de demain ?

Nous sommes en 2018 dans la Start-Up Nation. D'irréductibles Gaulois proposent une alternative à l'hyper-flexibilité et au sur-protectionnisme. Ils révolutionnent la dualité entre entreprenariat et salariat. Les coopératives d'activité et d'emploi, dans lesquelles les entrepreneurs sont aussi salariés, ont le vent en poupe.
De Charlotte Noblet
Vivoter en enchaînant les missions ou accepter des salaires de misère à des postes inintéressants « pour se faire un CV » : pendant cinq ans, Agnès a joué le jeu. Puis le ras-le-bol s'est fait sentir : crise économique ou pas, Agnès ne pouvait travailler ainsi toute sa vie ! Comment quitter cette précarité ? Pourquoi ne pas s'adonner à son autre passion, la coiffure ? Il y a un an, Agnès Calu a rejoint les entrepreneurs salariés de Prisme, une coopérative d'activités et d'entrepreneurs à Marseille. Elle développe aujourd'hui son projet de manière viable :
Qu'est-ce q'une CAE ?
La CAE (coopérative d’activité et d’emploi) est un regroupement économique solidaire de plusieurs entrepreneurs.
Cette forme d'entrepreneuriat collectif offre aux entrepreneurs une solution plus sûre pour lancer leur activité. Le porteur de projet qui rejoint une CAE bénéficie d'un cadre juridique existant, d'un statut d'entrepreneur salarié en contrat à durée indéterminée et d'une protection sociale. Toute la gestion administrative, fiscale et comptable est mutualisée. Ce cadre permet ainsi aux entrepreneurs de se concentrer sur leur activité, avec une sécurité accrue.
Source : www.economie.gouv.fr
Un statut alliant liberté et sécurité
La France compte plus d’une centaine de CAE employant plus de 10 000 entrepreneurs salariés en CDI, selon les deux réseaux de CAE en France, Coopérer pour entreprendre et Copéa. « Cela reste certes marginal par rapport aux 100 000 salariés des sociétés de portage salarial », reconnaît Cyrille Rodriguez avant de renchérir : « Mais ces sociétés n'offrent qu'un bulletin de salaire aux entrepreneurs contre 10% de leur chiffre d'affaires. Les coopératives doivent quant à elles proposer un accompagnement personnalisé à leurs entrepreneurs salariés. » Et de préciser : « L'ADN de la CAE n'est pas de réaliser de la plus-value mais d'adhérer à des valeurs collectives et de participer à la sécurité sociale. C'est une question de choix de vie et de valeurs. »
Moins d'un an après, Oualid s'étonne encore : « Notre coopérative généraliste m'offre l'opportunité de travailler directement avec les entrepreneurs créateurs, photographes, paysagistes. Mais ça va encore plus loin que je ne l'imaginais : nous répondons à des appels à projet ensemble et nous développons de nouveaux projets. »
Hier l’entreprise capitaliste, aujourd’hui la CAE ?
Depuis plus d'une vingtaine d'années, les CAE allient démarche individuelle et dimension collective. Longtemps marginales, les coopératives bénéficient aujourd'hui d'un certain engouement. « Pour autant, on ne saurait lier leur succès à la seule crise financière. Si elles attirent de plus en plus de candidats, c'est aussi parce qu'elles correspondent à des évolutions beaucoup plus profondes de notre société. » écrit Elisabeth Bost, une des têtes pensantes du collaboratif en France, dans son ouvrage de référence Aux entreprenants associés (2016, Éditions Repas). Les coopératives incarnent chacune à leur manière des projets de société basés sur des valeurs humaines et non sur le seul profit lié au capital. L’auteur explique: « Alors que la débâcle financière montre aujourd'hui les limites de l'entreprise capitaliste, les coopératives d'activités et d'emploi proposent une démarche collective et mutualisée d’entreprise. »Les CAE apportent donc une réponse au chômage mais réinventent surtout une relation au travail en combinant initiative personnelle et solidarité. Isabelle Berviller (51 ans) apprécie ainsi d'avoir pu tester sa nouvelle activité dans un environnement bienveillant :
Une dynamique collective pleine de synergies
À 64 ans, Monik Vernier en est convaincue : la CAE, c'est la manière de travailler du futur ! Costumière et formatrice en CAP tailleur, elle a rempli des tonnes de dossiers pendant sa carrière à l'Éducation nationale. « Je voulais travailler autrement, sans poids administratif ». En septembre 2017, sa nièce lui parle des CAE et moins d'un an après, Monik s'apprête à participer au fab lab de Prisme qui ouvrira prochainement à Avignon, alliant compétences textiles et numériques.La CAE Prisme compte 35 entrepreneurs salariés qui financent trois personnes grâce à leurs contributions à hauteur de 12 pour cent de leur marge brute. Julie Weirich fait partie de l'équipe support : « Je suis au service de nos entrepreneurs salariés et je veille au développement de leur bien-être. » Pour Julie, la CAE s'inscrit dans l'air du temps : « Nous portons souvent plusieurs casquettes et la CAE nous permet de les assumer sans difficultés administratives. Au sein de Prisme, nous avons des « slashers » qui cumulent leurs activités comme Agnès, Isabelle ou Monik. Leurs différentes compétences nourrissent les échanges que ce soit lors de formations officielles ou d'échanges informels entre les membres de la coopérative. »

Ouvrages de référence :
- Aux entreprenants associés - La coopérative d'activités et d'emploi (2016) de Elisabeth Bost aux Editions Repas. ISBN : 978-2-919272-07-5
- Refaire le monde du travail (2016) de Sandrino Graceffa aux Editions Repas. ISBN : 978-2-919272-11-2.