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Collants dans des vitrines
Les Allemands n'aiment-ils pas parler de lingerie ? | Photo (extrait) : © Mathilde Sommain

Nudité ou politique : quels sujets font rougir de honte les Allemands et les Français ? Sina et Mathilde ont mené leur enquête – et plus d'une fois mis les pieds dans le plat.

De la mesure en toutes choses

Le tact, le doigté, la discrétion : le terme français de « pudeur »  est très évocateur et toujours positivement connoté ici. Les périphrases en sont une illustration : un soupçon de fard pour embellir la réalité, c’est-à-dire une ribambelle d’euphémismes et de compliments, fait partie du savoir vivre ensemble, surtout à Toulouse, où tout est logiquement plus « caliente » qu’à Paris, dans les relations humaines comme dans la météo.


Il m’est déjà souvent arrivé d’accepter sans hésiter une proposition polie, une invitation par exemple, alors qu’il aurait fallu refuser. Et parfois, même un simple « non » peut être ressenti comme une indélicatesse.  Quant à moi, je me creuse la tête quand on me fait des réponses ambiguës et je reviens à la charge jusqu’à ce que je comprenne, au bout du troisième « oui, peut-être », ce qu’il va se passer… à savoir rien du tout ! En revanche, dans une discussion sur des thèmes de politique sociale, je ne peux pas m’en tirer avec un relativisme de bon aloi ; là, il s’agit d’annoncer la couleur, les susceptibilités personnelles et le désir de consensus, que j’arbore en permanence, n’ont pas droit de cité. Mais les expressions salées ne doivent pas faire oublier que le raffinement est particulièrement apprécié dans la conversation depuis l’âge d’or des salons littéraires et qu’il est tout autant prisé dans d’autres domaines :


Cacher et montrer en matière vestimentaire est tout un art chez les Françaises ; le millefeuille, avec ses différentes couches de pâte feuilletée et de crème, un dessert très populaire, et la vie amoureuse du Président un sujet où la discrétion est de mise. Ce qui relève du privé doit rester privé. Le déshabillage sans gêne des vacanciers allemands avides de nature au bord de la Baltique ou la nudité au sauna seraient certainement choquants, alors que parler de lingerie en dentelle ne l’est pas. Il faut donc user de tact pour deviner ce qui pourrait mettre mal à l’aise, car découvrir autrui ou le mettre à nu sans le vouloir serait bien la pire des choses.

Les pieds dans le plat

Comment reconnaître une Française dans un sauna en Allemagne ? Même myope au-delà du raisonnable, ce sera celle qui gardera le regard fixé au plafond tout en tirant sur sa serviette, lorsque ses voisins et voisines prendront leurs aises, car le sauna, on y entre nu, c’est bon pour le corps et une serviette n’est pas là pour se couvrir mais pour s’asseoir dessus. La pudeur habituelle en France devient rapidement de la pudibonderie au pays où la nudité n’implique pas d’emblée un intérêt sexuel. On le constate chaque année à la mer sur les plages nudistes, à peine signalées par un petit panneau, à une heure à peine de Hambourg.


Or détourner pudiquement le regard à ces occasions se révèle moins difficile que se découvrir soi-même dans la position inconfortable de celle qui met les pieds dans le plat. La pudeur n’est pas seulement corporelle, elle plane sur toutes les discussions, jusqu’aux plus anodines. Si l’on peut être parfois marqué par le franc-parler allemand, lorsque l’on s’entend raconter les plus intimes désagréments des dernières règles, on peut voir dans les yeux de ses interlocuteurs se refléter le même malaise, pour peu que l’on s’emporte en parlant politique ou en déplorant la mauvaise qualité de ses bas. La lingerie que l’on porte est censée rester dans le secret de nos consciences, tout comme une allusion un peu grivoise au détour d’une conversation ou une opinion politique qui empêcherait le groupe de parvenir à un consensus harmonieux.


En bonne Française, je louvoie, je reste évasive, je diffère, je fais des allusions, je « parle à travers les fleurs », « durch die Blume ». Hélas, mon interlocuteur allemand ne voit pas derrière ce gros bouquet la forêt qui s’y cache et demeure, embarrassé, avec sa question sans réponse. Mais lorsque je suis curieuse et interroge les fondements de cette société étrange, lorsque je prépare la prochaine révolution et l’attends pour refaire le monde, l’Allemand du Nord, pragmatique et réservé, refuse de prendre parti et me ramène à la dure réalité. Qui me fournira une boussole pour éviter les faux pas ?