Que serait une ville sans son fleuve ? Sina et Mathilde nous invitent à une ballade autour des plus beaux abreuvoirs de Hambourg et de Toulouse.
Au fil de l‘eau
C'est au fil de l'eau que l'on ressent le mieux la cadence changeante de Hambourg. L'eau occupe huit pourcent de sa superficie, et il est d'usage de dire qu'il y a plus de ponts ici qu'à Venise et Amsterdam réunies. Le fleuve accélère le pouls de la ville. La philharmonie de l'Elbe mime d'ailleurs les vagues grises qu'agitent les ferrys et l'arrivée lourde des portes-containers. Il faudrait venir au port tous les matins pour s'imprégner de la vigueur du spectacle de tous ces bateaux qui s'affairent avec de gros clapotis.
Lorsqu'elle s'immisce dans le centre-ville, on pourrait presque oublier l'omniprésence du fleuve, jusqu'à arriver à Jungfernstieg. Un moulin installa là sa roue aux premières heures de la ville, et c’est ainsi que l’Alster devint un lac. Au XIXe siècle, déjà, le poète Heinrich Heine s’asseyait là, ne pensait à rien et observait le passage des jeunes filles. Aujourd’hui encore, Jungfernstieg agit sur moi comme un décor de théâtre luxueux. La rivière est docile et reflète élégamment les façades qui l’entourent. La vue sur le lac fait de Hambourg, ici, une altière bourgeoise.
On part longer l’Alster et on n’entend plus qu’un léger clapotis, celui des canards et des voiliers au loin. C’est à cet endroit seulement que l’on sent le parfum de l’eau douce. Je ne m’étonne plus de croiser rarement une fontaine : personne n’a besoin de se souvenir que l’eau existe lorsque l’on en a toujours autant sous les yeux. On pourrait presque se laisser envahir par la douceur du lac si tout le monde n’avait pas eu la même idée.
Marchons vers le nord et longeons les canaux. Le cours tranquille de la rivière imprime sa langueur sur la marche des promeneurs. C’est cette ambiance flottante qui me convient le mieux. De petites villas blanches se dévoilent peu à peu : elles se sont adaptées à leur milieu et ont planté des garages à bateaux au bout de leur jardin.
Une promenade ne serait pas complète si une petite pluie fine ne s’invitait pas. Une bruine frêle et têtue qui, au final, s’intègre au mieux dans le paysage.
Les riverains
Ma famille et mes amis en visite prennent tout doucement conscience que toute ville du sud de la France n'est pas au bord de la mer. Moins agitée qu'une ville de la côte, Toulouse est malgré tout marquée par la présence de l'eau. Située exactement entre l'Atlantique et la mer Méditerranée, elle permet d'atteindre l'un ou l'autre en quelques heures. Un homme avisé voulut relier les deux mers et imagina le fameux canal du midi, qui, après 240 kilomètres, pénètre dans la ville rose depuis la mer Méditerranée et d'où l'on rejoint l'océan Atlantique par la Garonne.
Après de longues années de préparation, Pierre-Paul Riquet reçut de Louis XIV en 1666 l'édit l'autorisant à concrétiser sa vision. Jusqu'à ce que le premier rail de chemin de fer fût posé, le canal entraina un essor économique conséquent – aujourd'hui, il est surtout emprunté par des péniches aménagées et des bateaux à moteurs filant sous l'ombre verte des platanes.
Large et calme, la Garonne se love dans le centre-ville et enlace deux îles au sud de la ville. Les étudiants s'assoient le soir sur les quais, les propriétaires y promènent leur chien au matin. La disposition de la ville me rappelle presque Francfort, d'où je viens : « Dribbdebach » correspond ici Saint Cyprien et même si le quartier n'est pas encore autant en vogue que Sachsenhausen, il héberge le musée d'art moderne et le château d'eau où les travaux de photographes internationaux renommés côtoient la roue du moulin. Ainsi faut-il parfois traverser le fleuve, en empruntant par exemple le pont neuf qui, contrairement à ce que son nom indique, est le plus vieux pont de Toulouse.
Ainsi le fleuve apporte-t-il de la structure à la ville. Il laisse le regard se porter au loin et, du lointain, le ramène vers la ville - espace inconstructible, il s'y écoule avec régularité, telle une artère épaisse. Les mouettes emportent leurs cris jusqu'au centre-ville, si bien que l'on s'imagine, si on veut, la mer se cacher malgré tout derrière le prochain pâté de maison.