Entretien avec Marine de Beaufort
Voyager de manière plus responsable
Au vu des manifestations de « Fridays For Future » et des nombreux débats actuels sur la manière de contribuer à la protection de l'environnement, nombreux sont ceux qui se demandent s'ils ne devraient pas prendre le train plutôt que la voiture ou l'avion lors de leurs prochaines vacances. Mais que signifie exactement voyager de manière plus responsable ? Avec Marine de Beaufort, fondatrice de « Voy’Agir », une entreprise qui a pour but d’aider les gens à voyager de manière plus responsable, nous discutons du plaisir de voyager et des pratiques touristiques respectueuses de l'environnement.
De Lena Kronenbürger
Madame de Beaufort, pourquoi les voyages sont-ils importants ?
Lorsque l’on voyage, nous élargissons notre ouverture d’esprit, car nous oublions nos petits et grands tracas du quotidien. On voyage pour découvrir de nouveaux paysages et surtout une culture différente, donc c’est une opportunité pour voir ce que l’on ne voit pas dans notre quotidien, ni dans la société dans laquelle on vit. Dans certains cas, on est confronté aussi à la pollution, à des problèmes sociaux ou à la pauvreté. À partir de ces découvertes, on développe souvent une envie de changer les choses et de trouver des solutions. Cette volonté de changement, cette prise de conscience, on la ramène en rentrant chez soi. C’est une étape du voyage qui me parait essentielle dans la construction d’un monde plus durable. D’ailleurs, quand on s’intéresse au discours des personnes particulièrement engagées pour l’environnement et pour la société en général, il y a, quasiment systématiquement, des histoires de voyage dans leur histoire à eux. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le tourisme comporte des aspects positifs concernant la protection de l’environnement ainsi que le développement de la société et évidemment des avantages économiques. Cela paraît évident, mais le tourisme est une grosse industrie dont de nombreux pays en voie de développement dépendent économiquement : de nombreuses personnes vivent grâce à au tourisme. Ce à quoi on pense moins, c'est que de nombreuses réserves naturelles sont protégées justement parce qu’elles possèdent une valeur touristique, qui ne serait préservées si on arrêtait de voyager.
Un voyage durable ou bien le tourisme durable, c’est une forme de tourisme économiquement, environnementalement et socialement viable sur le long terme, qui se développe de manière à ce que les générations futures puissent à leur tour aussi bénéficier du tourisme. Cela s’applique autant à la population locale, pour que les générations futures locales puissent travailler dans le tourisme, qu’à nous, pour que nos enfants puissent voyager vers telle ou telle destination. Pour moi, le profil du « voyageur responsable » s’inscrit purement dans une logique de découverte dans laquelle le respect est une valeur de base que ce soit à l’égard de la population locale ou de l’environnement local.
Le mouvement « Fridays For Future » a-t-il changé la prise de conscience de nombreuses personnes à l'égard du voyage durable ?
Je ne pense pas que « Fridays For Future » ait changé les consciences et les comportements. Ce n’est pas le mouvement qui fait la prise de conscience des individus, je pense plutôt que les expériences et les gens que l’on côtoie au quotidien déclenchent cette prise de conscience.
La tendance actuelle change-t-elle fondamentalement en faveur du tourisme durable ?
Oui, de deux façons. D’un côté, les personnes très engagées vont modifier complètement leur mode de voyage, ils vont même éventuellement arrêter de voyager, notamment en avion, ils vont faire des choix assez radicaux. Moi, je suis rarement dans la radicalisation et ma prise de conscience n’est pas récente, mais par exemple j’ai fait le choix de ne plus prendre l’avion qu’une seule fois par an, pour un voyage qui doit durer au minimum un mois, sinon le déplacement n’en vaut pas la peine. Ce n’est pas radical car je n’ai pas décidé de ne plus jamais prendre l’avion, de la même manière que j’ai décidée de ne pas devenir végétarienne parce que j’aime beaucoup la viande. Mais je suis flexitarienne, c’est-à-dire que je mange de la viande ou du poisson une à deux fois par semaine maximum et dans ce cas vraiment un produit bon et local. Donc voilà, ça c’est moi, ma façon de faire, je ne suis pas dans l’extrême mais je plaide pour un choix conscient, tout en conservant la notion de plaisir, qui peut donc être le voyage ou la viande, mais de manière complètement raisonnée et raisonnable.
Et comment l'attitude de ceux qui sont peut-être moins engagés a-t-elle changé ?
Une autre partie de la population va commencer à se poser des questions critiques sur leur façon de voyager et chercher à avoir une influence positive. Donc ces personnes vont vouloir faire un peu de volontariat pendant leur voyage, par exemple. En général cette population-là conserve leur façon de faire, mais avec une petite adaptation. Par exemple, s’ils ont l’habitude d’aller dans des hôtels quatre étoiles, ils vont continuer à aller dans des quatre étoiles, mais peut-être qu’ils choisiront un hôtel qui reversent une partie de ses bénéfices à un village local ou pour une école, sans pour autant changer du tout au tout.
Et vous, comment voyagez-vous ?
Mon partenaire est moi, nous aimons voyager très lentement, donc cela s’accorde avec la philosophie du cyclotourisme. Nous aimons rester longtemps à un endroit et essayer de vraiment percevoir l’ambiance et la culture. On est très loin de la course aux visites. Nous sommes ce que l’on appelle des bagpackers ; nous voyageons donc avec un petit budget, un sac à dos - pas de grand luxe. Ce que nous aimons, c’est la découverte d’un pays et pour cela nous n’avons pas besoin d’être dans un hôtel quatre étoiles. Notre dernier voyage a duré huit mois, et en huit mois on n’a fait « que » trois pays, le Panama, la Colombie, et l’Equateur. L’idée c’est de rester sur place : cela ne veut pas dire tout visiter et non tout voir, mais s’imprégner du lieu. C’est notre façon de visiter, et nous pouvons appliquer cette philosophie en Colombie comme à Saint-Guilhem-le-Désert, qui est à une heure de chez nous.
Quel est votre endroit préféré dans le monde ?
Il y a deux environnements dans lesquels je me sens pleinement en communion avec la nature : la jungle et l’océan. Dans la jungle ainsi que près de la mer, il y a un silence assourdissant qui est extrêmement bruyant. On entend beaucoup de bruits - des bruits de la nature - ce que j’adore.
C’est toute l’idée de Voy’Agir, mon entreprise, qui a pour but d’aider les gens à voyager de manière plus responsable, avec notamment une plateforme collaborative de tourisme durable où chacun peut partager des adresses en expliquant en quoi cette adresse agit pour un tourisme plus responsable. On y trouve évidemment l’adresse d’un lodge avec un traitement des eaux usées mais aussi le café en bas de chez soi qui propose du sucre en vrac plutôt que des dosettes individuelles, par exemple. Il n’est pas important de donner bonne conscience aux gens qui voyagent, mais de permettre à des gens qui ont des principaux éco-responsables de continuer à voyager sans renoncer à leurs valeurs. Alors évidemment la première chose, il est important de prendre ses bonnes pratiques avec soi lorsque l’on voyage. J’ai l’habitude de faire zéro déchets à la maison et cela vaut pour moi aussi lorsque je voyage.
Quelle devrait être la première étape de la planification d'un voyage durable ?
La première étape dans la planification d’un voyage durable, c’est le choix de la destination, parce qu’il y a des destinations qui souffrent de l’overtourism, du surtourisme, par exemple Venise ou Barcelone. Les locaux ne supportent plus la quantité de touristes et finalement, ce n’est pas tant la quantité de touristes qui dérange, mais le fait que leur présence et leurs attentes influencent et modifient le mode de vie local. Le tourisme de masse a un impact environnemental énorme. Si la population est multipliée par cinq, automatiquement, la quantité de déchets, la consommation d’eau ou la consommation d’électricité sont multipliés par cinq aussi, voire plus. C’est pourquoi il faut parfois savoir renoncer à une destination qui nous attire particulièrement. Si on veut garder bonne conscience, il faut savoir faire des « sacrifices », et, par exemple, renoncer à aller voir le Machu Picchu.
Quelle est la meilleure chose à laisser à la maison avant de partir pour un voyage durable ?
Tout ce qui constitue un déchet qui risque de rester sur place. Sinon : Toute fermeture d’esprit doit être abandonnée pour pouvoir profiter pleinement d’un voyage durable, pour participer et aussi pour offrir quelque chose de positif et d’avoir une envie de changer les choses lorsque l’on rentre chez soi.