Pourquoi apprends-tu l'allemand ?
Pas de bébé sur le dos ni d'eau sur la tête

Dans le sud-est du Sénégal, à environ 700 km de Dakar la capitale trépidante, se trouve la petite ville de Kédougou. Elle compte environ 15.000 habitants qui appartiennent à différentes ethnies. Quelle est la motivation des élèves de cette région rurale, chaude, vallonnée et verte, située à la frontière du Mali et de la Guinée, d'apprendre l'allemand ?
Le 6 avril 2016, les élèves de Kédougou sont venus au Goethe Institut à Dakar pour participer à « Leseratten », un club de bouquineur dirigé par Sabrina Stubbe. Pendant mon stage au Goethe Institut, j'aide Sabrina à préparer le club. Suite à une conversation avec le prof et mes collègues, vient l'idée d'inviter Anna, l'autre stagiaire du Goethe-Institut, pour enseigner des cours d'allemand à Kédougou. Elle effectue son stage dans le département de langue. Étant moi-même stagiaire dans le département culturel, j'y vais aussi pour accompagner le projet, le documenter, prendre des photos. De plus, il vaut mieux être à deux que seul. Avec ce projet, je souhaite faire le focus sur les différences culturelles et surtout trouver une réponse à la question « Pourquoi les élèves de Kédougou apprennent-ils l'allemand tandis que beaucoup d'allemands ne savent même pas où se trouve le Sénégal » ? Alors, c'est parti pour 14h de voyage en car de Dakar, situé sur la péninsule capverdienne constamment brassé par la brise de la mer, à la ville petite et chaude de Kédougou tropicale et désertique.
Deux heures par jour, nous sommes dans le petit Collège Commune II de Kédougou. On dirait un bloc de béton. Il manque de ventilateurs, la température extérieure fait brutalement 43°. Voici le décor planté, sans compter mon envie de m'évanouir à cause des températures avoisinant celle d'un sauna dans la salle de classe. Les cours sont assez programmés mais le mercredi, j'ai du temps pour poser mes questions. La première question est au cœur du sujet : « Pourquoi apprends-tu l'allemand ? ». Les réponses sont assez surprenantes : de l'allemand est leur matière préférée au souhait de devenir prof d'allemand ou germaniste. D'autres répondent simplement « parce que j'aime l'allemand » et pour finir, la réponse qui m'a le plus interpellée « Je veux être une Allemande ».
En discutant avec les jeunes après le cours je découvre que quelques-uns ont beaucoup d'ambitions, par exemple une élève de 3ème veut fonder une entreprise en Allemagne. Wow, elle a plus d'ambition que moi ! Mais pourquoi pas, peut-être ça marchera Inch'allah. Ce qui m'intéresse également, ce sont leurs idées à propos de l'Allemagne et comment ils imaginent la vie en Allemagne. La question est donc : « Selon vous, quelle est la différence entre le Sénégal et l'Allemagne ? » Les jeunes répondent d'une manière naïve et spontanée. La plupart répondent qu'en Allemagne il fait froid et au Sénégal, il fait chaud ou encore que l'Allemagne est un pays riche et sécurisé. Une réponse qui revient au moins trois fois et qui me fait sourire est la suivante : « Ici, au Sénégal, les femmes portent leurs bébés sur le dos et l'eau sur la tête. » Les jeunes remarquent aussi la différence concernant la famille ; au Sénégal, les familles sont grandes et en Allemagne les familles sont plus petites. Ajouté à cela, en Allemagne, on se salue rapidement dans la rue et puis chacun continue son chemin mais au Sénégal on passe une heure à se saluer. Je confirme !
Et finalement – bien sûr – la langue. C'est évident, dans un cours de langue, on n'a presque pas besoin de le mentionner. Dans notre culture allemande, il y a une seule langue, ce qui n'est pas à comparer avec la diversité d'ethnies ici au Sénégal. La conséquence est donc une diversité des langues. Je remarque cela surtout à Kédougou, parce qu'à Dakar la plupart des gens parlent wolof. La majorité des élèves de la classe appartiennent à l'ethnie des Peulh, mais il y a également des Madinké, des Susu, des Dialonké et aussi des Wolof. Tous apprennent le français. Pour certains, le français est une langue étrangère, pour d'autres elle ne l'est pas. Ça m'étonne car leur langue maternelle n'est pas le français, c'est sûr!
En conclusion, il me semble que les jeunes sénégalais ont une image ou bien une idée très positive de l'Allemagne. Peut-être sont-ils fascinés par la différence face à leur pays natal. Tous les jeunes veulent apprendre la culture allemande, j'ai l'impression qu'ils ne sont pas encore conscients des difficultés d'être étranger dans un autre pays. Les clichés et stéréotypes de l'Allemagne (richesse, voiture, football…) peuvent influencer leurs avis. Par contre, personne ne dit qu'ils ne sont parfois pas vrais, les clichés et stéréotypes.
Quand je me ballade dans les rues de Kédougou et que je regarde la ville, je vois beaucoup de cabanes en torchis, de marchands de rue, des voitures encore plus cassées qu'à Dakar et je peux presque sentir la pauvreté, surtout quand les enfants de la rue me suivent en criant : « Eh toubab ! Donne-moi cadeau ! » Dans les yeux des élèves de Kédougou l'Allemagne semble donc être un pays riche et sécurisé sans la pauvreté comme ici. Un pays où on possède des entreprises, un pays avec des bonnes chances de réussir. Ou bien, c'est peut-être le charme d'un pays lointain ou « les femmes ne portent pas leurs bébés sur le dos et l'eau sur la tête » qui les attirent.