« Qui ne connaît pas les langues étrangères ignore véritablement sa propre langue» (« Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiss nichts von seiner eigenen »), affirmait, déjà au XIXe siècle, l’illustre écrivain allemand Johann Wolfgang von Goethe. Aujourd’hui, une telle déclaration, qui invitait au multilinguisme et à la rencontre d’autres civilisations, n’a rien perdu de son actualité d’alors.
Dans notre monde de plus en plus interconnecté et globalisé, apprendre et parler une, voire plusieurs langues étrangères est une richesse inestimable. Depuis quelques années, la didactique des langues étrangères propose, à l’heure du numérique, des modèles appropriés et efficients pour l’apprentissage des langues. Cette méthode interpelle élève et étudiant quelle que soit sa discipline. Que l’on soit scientifique ou littéraire, historien, géographe, ou philosophe, diplomate ou autres investigateurs, maîtriser, voire parler plusieurs langues étrangères constitue un atout de taille. Le marché du travail s’internationalise de plus en plus; du coup les échanges avec les partenaires internationaux constituent plus que jamais un défi impératif à relever. Ce défi est loin d’être un frein au développement économique durable auquel beaucoup de pays aspirent. Le Sénégal ne déroge point à cette situation.
La promotion de l’enseignement d’une langue étrangère comme l’allemand ne ferait que raffermir les relations qu’entretient l’Etat sénégalais avec les pays germanophones dans bien des domaines. La complexité d’une suppression ou d’une minoration de l’enseignement d’une telle langue peut cependant, bien au-delà de toute prévision, créer un affaiblissement des relations de coopérations bilatérales. En revanche, leur développement peut permettre une meilleure fructification des échanges internationaux, surtout sur le plan, politique, économique et culturel. Cette langue allemande n’est-elle pas celle du pays qui est considéré aujourd’hui comme l’une des plus grandes puissances économiques mondiales ? Nous ne perdons évidemment pas de vue le grand nombre de locuteurs germanophones au-delà des frontières allemandes, notamment en Suisse, en Autriche, en Belgique, au Luxembourg, etc.
L’écrivain et homme de sciences Goethe a toujours incité les Allemands à aller à la découverte d’autres langues et cultures. Pour lui cet apprentissage d’autres langues étrangères renferme un double avantage. D’abord il leur permet de communiquer avec les étrangers qui sont en Allemagne. Ensuite ils pourront communiquer et échanger en cas de séjour à l’étranger. Ne devrions-nous pas nous inspirer d´un tel exemple ? Ou encore prendre en compte la notion de dialogue des cultures prônée par le président-poète sénégalais Léopold Sédar Senghor ? Ce défenseur de la civilisation de l’universel résumait son attachement à la langue de Goethe comme suit : « Je n’ai qu’un regret, c’est que les tâches de la politique ne m’aient pas permis d’entretenir mes connaissances, mais surtout ma pratique » (1979). Séduit qu’il était par la langue allemande qu’il considérait à juste titre comme langue internationale d’envergure scientifique, Senghor l’introduisit dans le système éducatif national comme seconde langue vivante. Qu’en est-il aujourd’hui de l’héritage qu’il nous a laissé ? L’approche senghorienne nous interpelle directement dans un contexte scientifique d’inter- et de transdisciplinarité. En 2010, une étude coréenne qui voulait comparer l’apprentissage d’une langue et la compréhension des mathématiques a conclu que « la méthode d’apprentissage d’une langue est comme l’huile qui aide à lubrifier le cerveau et lui permet une meilleure compréhension nécessaire à l’apprentissage des mathématiques ». Serait-ce la raison pour laquelle Senghor avait insisté sur l’apprentissage par les jeunes Sénégalais d’une langue vivante à déclinaison telle que l’allemand. Cette langue, en fait peut ouvrir des compétences dans les domaines de la science et de la technologique devenus essentiels à tout développement durable. Restons dans le domaine de l’éducation.
Le système LMD, dont l’un des objectifs est de promouvoir la mobilité des apprenants et des enseignants à l’échelle aussi bien nationale qu’internationale, ne manque pas de favoriser la prise en compte des langues étrangères. Celles-ci se présentent comme un moyen judicieux pour préparer les futurs étudiants à ce système et à ses finalités. Par conséquent, l’introduction, le maintien et le renforcement des langues étrangères dans le système éducatif restent notoire. Une telle réflexion incite à accorder une attention particulière à la décision, du gouvernement sénégalais, de procéder à la suppression d’un certain nombre de langues étrangères, dont l’allemand, du système éducatif sénégalais. Cette mesure serait efficiente dès la classe de quatrième à compter de l’année scolaire 2016-2017. Elle ferait écho à la promotion de l’enseignement des mathématiques, des sciences et de la technologie.
Par un décret de 2014 mis en pratique seulement en octobre 2016, l’enseignement de la langue allemande, italienne et russe devait être supprimé sans accord et de manière arbitraire tandis que l’espagnol, le portugais et l’arabe auraient été maintenus. Pendant que les enseignants d’italien et de russe n’ont guère manifesté, les enseignants d’allemand et leurs élèves sont descendus dans la rue pour donner libre cours à leur mécontentement.
Avec succès. Grâce à une collecte de signatures, de nombreux articles de presse et des manifestations, le gouvernement s’est vu contraint de retirer la mesure. Le succès résulte en partie aussi du fait que le nombre des étudiants en allemand a grandi constamment dans les dernières années. De plus, on constate que de plus en plus d´étudiants sénégalais bénéficient chaque année de bourses en vue de poursuive leurs études et formations dans les domaines de la science et de la technologie en Allemagne.
Les enseignants d’allemand au Sénégal ont donc invité les décideurs à réfléchir ensemble sur la question de l’importance des langues étrangères pour la promotion des matières scientifiques. En plus des cours d’allemand, les cours d’italien et de russe sont maintenus. Le grand gagnant de la contestation est donc le système scolaire sénégalais dans l’ensemble. Il reste à espérer que le gouvernement sénégalais promulgue un nouveau décret pour le rétablissement officiel des langues auparavant supprimées et qu’il prenne les mesures nécessaires pour promouvoir de manière durable l’enseignement des langues étrangères.