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Les bibliothèques dans la société orale, aujourd’hui et demain ?

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©Stéphanie Nikolaïdis

Les bibliothèques dans la société orale, aujourd’hui et demain ? C’est ainsi que le Goethe-Institut  du Sénégal a posé le débat sur la place des bibliothèques dans un pays où l’oralité règne en maitre.

C’est sous forme de boutade, que Philip Küppers lors de son allocution de bienvenue a affirmé que les conclusions du Panel serviront au Goethe-Institut pour la mise en place de la bibliothèque de l’institut dans ses nouveaux locaux.

Du point de vue de l’occident, les bibliothèques sont des lieux  de savoir par excellence a tenu à rappeler Bouya Fall. La directrice du Centre d’information et de la Bibliothèque du Goethe-Institut déplore toutefois la non prise en compte de l’oralité lors de l’implantation de ces bibliothèques dans le milieu sénégalais. Aujourd’hui comment relier l’oral et l’écrit ? Le digital peut-il être une solution surtout face au fort taux de pénétration des smartphones ? Comment redynamiser les bibliothèques et les adapter aux réalités africaines ? Des questionnements qui ont des débuts de réponse dans les premières allocutions. Le Président de l’Asbad Thierno Kandji a tenu à rappeler que dès le 15e siècle selon le Pr Ibnou Samb, ancien directeur de l’IFAN, « l’enseignement supérieur, la recherche scientifique  et la culture de bibliothèque faisait partie de l’histoire régionale ouest africaine ».

Dr Adama Aly Pam, chef archiviste de l’UNESCO était le modérateur de cette journée. Il a tenu à rappeler que « si la mission de la bibliothèque reste la même sous tous les cieux, on peut s’interroger si elle est, dans ses mécanismes habituels de fonctionnement en Occident, adaptée aux sociétés de l’oralité où les formes de conservation et de transmission du savoir sont radicalement différentes? ».  De son point de vue, « le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication favorise de plus en plus l’usage de l’oralité en bibliothèque ».

Il a passé le témoin au professeur Mamoussé Diagne qui a fait l’introduction de la  conférence inaugurale intitulée « la situation des bibliothèques avant les indépendances jusqu’à aujourd’hui ». Le thème de la conférence lui a rappelé ses écrits sur les rapports entre « le griot et le philosophe ». Elle aurait pu s’intituler « quand les notes du xalam arrivent sur la lune ». Il a assuré par ces mots que « ce serait le plus beau témoignage que l’on pourrait rendre au traditionniste qui vient d’être arraché à notre affection je veux nommer Samba Diabaré Samb » (décédé le 21 Septembre 2019). Dans sa communication riche en référence à l’oralité, il a conclu en réaffirmant que « le grand défi qui nous interpelle est de travailler afin de recueillir les savoirs de nos griots afin que les bibliothèques ne brûlent plus et que les mélodies de nos traditionnistes puissent être écoutées de partout dans l’univers ».

Justement, des griots, fiers traditionnistes comme Youssou Mbargane Mbaye, Dr. Massamba Gueye et Pr. Babacar Mbaye Ndaak se sont dévoués dans le premier panel.

Pour Mbaye Ndaak, il est impératif aujourd’hui de changer de paradigme, de ne plus voir les choses sous l’angle occidental. Il est nécessaire aujourd’hui par exemple, quand on énumère des intellectuelles que des femmes de la trempe de Sayda Mariama Niasse, Mame Diarra Bousso, souvent ignorées,  soient citées.  Les plus grands lecteurs de ce pays sont les lettrés arabes.

Une assertion validée par la communication du Dr. Massamba Gueye. Les expériences de lecture au rond-point Sandaga dans le cadre de la « Grande Parole Invite » ou encore dans les prisons illustrent bien ce propos. Il estime que l’animation en bibliothèque ne peut se faire sans une incursion dans le système de pensée des pays de l’oralité caractérisé par une circularité alors que les bibliothèques en Occident sont conçues et pensées dans la linéarité.

Youssou Mbargane Mbaye valsant entre le wolof du Ndiambour et un français académique, est revenu sur les fondements de la tradition orale. Le rôle de la parole, toujours porteuse d’un message, les rôles du devin et du griot dans la transmission du savoir. Il a terminé par le rôle des rites initiatiques : Comme le « leul » qui est un des plus importants mécanismes sociaux de formation aux valeurs de « djom », « kersa », d’endurance, de solidarité entre classes d’âge.

Après les échanges avec le public, le deuxième panel axé sur Comment inventer une bibliothèque inclusive qui parle aux communautés ? a été l’occasion de mettre l’accent sur l’ironie d’une situation. Au Sénégal, 10% de la population parlent le français alors que 90% des fonds documentaires des bibliothèques publiques sont en langue française. L’alphabétisation des populations, l’édition des œuvres en langues nationales et la création d’un réseau de bibliothèques publiques dans les langues du pays sont des préalables selon l’ancienne directrice du Livre et de la Lecture Marietou Diongue Diop. Elle a donné l’exemple mené à Caytu avec les femmes. Une campagne d’alphabétisation a permis de les former à la gestion de la bibliothèque communautaire et de faire d’elles des lectrices assidues et autonomes. Un exemple que les  bibliothécaires et leur association devraient développer afin de mettre fin au snobisme des collections en langues nationales dans leurs bibliothèques.

Une invite sur laquelle s’accorde Sada Kane, le directeur de la bibliothéque du Centre Culturel Blaise Senghor qui déplore le manque de moyens et de ressources humaines. Les fonds documentaires sont décalés et extravertis ne correspondant que très peu aux thématiques liées à l’Afrique. Prenant exemple sur la bibliothèque dont il a la charge, il note que 26% du fonds documentaire de cette bibliothèque traite des questions liées à l’Afrique. Au vu de ces statistiques, il est difficilement concevable de produire des bibliothèques réceptacles du patrimoine national. Il faut donc ré-inventer une nouvelle bibliothèque centrée sur le patrimoine national. Le chemin est encore long.

Abordant la question de « l’accès public à internet à travers les bibliothèques pour les communautés africaines en ligne » M. Mandiaye Ndiaye rappelle la nécessité pour les bibliothécaires de développer un plaidoyer fort à l’endroit des autorités publiques. Comme stipulé par le manifeste de l’IFLA pour l’Internet (2002), les bibliothèques et les services d’information sont, à l’échelon mondial, les interfaces vivantes entre les gens, les ressources d’information et le flux d’idées et de créativité qu’ils recherchent.