Teg Bët Gëstu Gi Exposition Ateliers de troubles épistémologiques

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Teg Bët Gëstu Gi attise la vie métamorphique des objets. Le musée, organisme rhizomatique et vivant, y affirme son potentiel de transformation, sa contribution à la métamorphose, au métabolisme, à de nouvelles potentialités. Espace de production d’œuvres, de connaissances, de nouveaux imaginaires, de spéculations pour l’avenir – qui réinterroge son histoire, ses méthodes, ses scénographies, ses usages, son rôle au sein de la cité–, il fait émerger des propositions invitant à réfléchir aux réalités contemporaines mais aussi au devenir des communautés, à leur action sur le futur. Cultivant des vitalités et des rencontres, il focalise l’attention sur des naissances.

Teg Bët Gëstu Gi – signifie en wolof voir ou toucher des yeux – la recherche. Réalisées – pour la plus grande partie d’entre elles– lors de résidences, les œuvres des artistes contemporains internationaux invité·es (Hervé Youmbi, Ibrahima Thiam, Uriel Orlow / Ariane Leblanc, Alioune Diouf, Patrick Bernier / Olive Martin / Ussumane Ca, Vincent Meessen, François Knoetze, Mamadou Khouma Gueye) se combinent aux collections historiques du musée Théodore-Monod d’art africain de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire de l’université Cheikh Anta-Diop à Dakar. Initié en 1936, pendant la colonisation, le projet de musée ethnographique consacré aux arts et traditions de l’Afrique de l’Ouest de l’Institut Français de l’Afrique Noire ne se concrétisa qu’en 1961 après l’indépendance du Sénégal. La vision de Léopold Sédar-Senghor privilégia alors un intérêt pour l’esthétique et la communication directe avec les objets afin de s’affranchir d’une recontextualisation scientifique intenable étant donné les conditions de collecte durant la période coloniale. Rebaptisé en 2007, le musée Théodore-Monod d’art africain, avec une collection estimée à plus de 9 000 objets, a pour mission de préserver et de valoriser les héritages culturels du Sénégal et de l’Afrique, de montrer leur multi-culturalité, des zones de rencontres, des influences. Situées à la lisière de plusieurs mondes, histoires et conflits, ces collections sensibles sont aujourd’hui la matière de recherches historiques renouvelées et suscitent des débats complexes notamment liés à leur passé colonial. Elles deviennent des attracteurs culturels autour desquels se reconfigurent des récits.

Avec leurs formes, leurs esthétiques, leurs dispositifs, les œuvres contemporaines de l’exposition contribuent à témoigner de la richesse culturelle et artistique de l’Afrique subsaharienne, interpellent notre relation aux patrimoines africains – parfois fragiles mais toujours vivants, et en mutations. Par des processus d’enquête, d’hybridations, de circulations, de contaminations, d’imbrications, d’interdépendances, de spéculations, de frictions, elles génèrent une série de questions au sein de l’espace muséographique ou dans le parc. Elles font surgir les philosophies, les conceptions de l’être social et collectif, auxquels étaient et peuvent être encore rattachés les artefacts anciens. Installations, sculptures, vidéos, broderies, photographies conversent avec les objets et les archives, reconsidèrent des savoirs anciens (botaniques, médicaux, artisanaux, esthétiques, linguistiques, spirituels...), révèlent la manifestation de la force que ces objets recèlent sans les enfermer dans un passé afrocentré mais en montrant l’entrelacement et la communauté de sort entre l’Afrique et le monde : les questions africaines renvoient à des questions planétaires.

En bousculant l’historiographie et les taxinomies muséales, Teg Bët Gëstu Gi remet en mouvement une constellation d’objets via une poétique de la relation, de la mémoire et de l’imagination. Elle fait éclore d’autres narrations, gestes, pratiques, transmissions, activations qui nous invitent à penser à demain (en termes écologiques, par exemple). Ici, l’IFAN devient l’Institut Fictionnel d’Afrique Noire. Ici, le musée dit aux objets que «leur habitat est lieu de vie, expression de cette cosmologie de l’émergence continue dans laquelle ils s’inscrivent et s’expriment». «Les objets mutants» qu’il engendre «ne tiennent pas en place, ils sont toujours excessifs » comme l’a écrit Souleymane Bachir Diagne. Ils déploient activement des possibles, sont des énoncés qui agissent, qui relaient des présences qui affectent et qui font agir. Leur puissance incantatoire appelle à d’autres histoires, suite d’apparitions et de disparitions. Laissant des hypothèses déambuler dans les mises en lien, désirs de suite, désirs de vitalité, ces œuvres composent avec la présence où se fabrique l’être. Manifester leur agentivité, la variété de leurs significations, et des processus complexes –y compris de réappropriation et de subjectivation politique– est essentiel.
Depuis 2018, le musée Théodore-Monod d’art africain de l’IFAN de l’université de Cheikh Anta-Diop à Dakar et l’École des beaux-arts de Nantes Saint-Nazaire (France) mènent un projet intitulé Ateliers de troubles épistémologiques. Arti- culant recherche, production et enseignement, ce projet revisite les notions de patrimoine, les conceptions muséogra- phiques et certains savoirs. Il est soutenu par le Goethe Institut (Dakar), l’Institut Pro-Helvetia (Johannesburg), l’Institut Français du Sénégal, l’Ambassade de France au Sénégal, la Ville de Nantes/Institut Français, l’Ambassade de Suisse au Sénégal, le Ministère de la Culture et de la Communication du Sénégal. Il est aussi étroitement lié à la revue en ligne Trouble dans les collections (menée avec l’aide de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme Paris et du CRENAU (UMR 1563 CNRS) de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes.)