Art décolonial Sucre noir

Extrait de la série « Sugar shoes » (2018) de Tiago San’t Ana. Performance dans l’ancienne sucrerie Freguesia à Candeias. | Photo : Maiara Serqueira © Tiago San't Ana
Les arts plastiques contre l’oubli : avec ses installations, Tiago San’t Ana perpétue le souvenir de l’architecture coloniale et des artefacts dans son pays d’origine, le Brésil. Il utilise très souvent à cette fin des contrastes en noir et blanc.
« Je présente mes performances dans d’anciennes sucreries de ma région natale. Il est très douloureux de voir que les histoires de violence coloniale ne sont plus racontées dans ces endroits. »
Tiago San’t Ana s’intéresse fréquemment dans ses œuvres (photos, vidéos, performances) au sucre, motif principal de photos en noir et blanc consacrées au thème de l’esclavage au Brésil : du sucre blanc fabriqué par des Noirs, tout d’abord par des esclaves africains puis par leurs descendants opprimés, les Afro-Brésilien-nes.
« J’ai toujours eu un gros problème avec le concept de ‘postcolonial’ parce qu’il implique un ‘après’, donc une période qui suivrait le colonialisme, ou bien avec l’idée que le fait colonial appartienne au passé », déclare l’artiste brésilien sur le chat de Latitude à propos de la question : « Vivons Vivons-nous vraiment à l’époque du post-colonialisme ? ». Tiago San’t Ana : « Nous savons que le post-colonialisme n’existe pas parce que nous vivons toujours dans des conditions qui poursuivent et actualisent le système colonial. »
Les chaussures comme symboles
De la même façon qu’il utilise le sucre comme symbole de l’histoire du Brésil, Tiago San’t Ana a souvent recours dans ses œuvres à la combinaison ‘pieds nus et chaussures’ : les pieds nus des personnes noires qui portent leurs chaussures sur les épaules. Lilia Moritz Schwarcz explique ce que cela signifie dans son article With Sugar and without affection à propos de l’exposition Casa de Purgar de Tiago San’t Ana qui a eu lieu en 2018 au Bahia Art Museum à Salvador et à l’Imperial Palace de Rio de Janeiro :« Au Brésil, les chaussures ont toujours permis de distinguer les esclaves des hommes libres. L’oppression ne consistait jamais en une loi écrite mais elle se révélait à travers la force incontestée des usages. On interdisait notamment aux prisonniers de porter des chaussures et ils sont toujours représentés avec les pieds nus sur le sol, sur le ciment urbain, à proximité de la saleté, quel que soit leur habillement, qu’ils soient esclaves dans des maisons particulières, dans les mines ou dans les villes. Ils ressentaient tellement ce manque que, peu après le 13 mai 1888, date de l’abolition formelle de l’esclavage au Brésil, des témoins racontaient que beaucoup se pressaient dans les magasins pour acheter ces choses tant désirées. Comme les pieds étaient cependant habitués aux dures routines du quotidien, ampoules et callosités se formèrent très rapidement. C’est ainsi qu’on vit les personnes libérées, heureuses et fières, arborer leurs chaussures sur les épaules, reliées par les lacets, comme s’il s’agissait de trophées de la liberté. Et c’est ce qu’elles étaient véritablement… un symbole fort. Les chaussures devinrent synonymes de liberté. »
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