Pour les débutant.es  Suggestions de lecture pour la « Montagne magique »

Montagne haut Photo (détail): Etienne Bösiger; © Unsplash

Le roman de Thomas Mann « La montagne magique » a la réputation d'être un livre impossible, une œuvre pour « vrais intellectuels ». Mais ce n'est pas forcément aussi compliqué : conseils pour les non érudits et les débutant.e.s de Thomas Mann qui souhaitent donner une chance à ce classique de la littérature.

La Montagne magique de Thomas Mann, publiée en 1924, est considérée comme l'un des romans les plus importants du 20e siècle. Et pour beaucoup - surtout pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore lu - comme l'un des plus difficiles.

L'intrigue du roman se résume assez facilement : le jeune ingénieur Hans Castorp rend visite à son cousin dans un sanatorium pour tuberculeux situé dans une montagne des Alpes suisses. Il ne prévoit d'y rester que quelques semaines, mais il y passe finalement sept ans - notamment parce qu'il est tombé amoureux de l'une des patientes. Il ne quitte la montagne que lorsqu'il part pour la Première Guerre mondiale. Pendant ce temps, Hans a de longues conversations compliquées avec différentes personnes sur la philosophie, la théologie, la politique, l’histoire, et il se plonge dans les secrets de la botanique, de l'astronomie et de la théorie de l'évolution.

Le roman acquit très tôt la réputation d'être un livre pour les « vrais intellectuel.le.s » et le « summum de la culture européenne ». En conséquence, beaucoup de celles et ceux qui envisagent de le lire ressentent principalement de la peur à son égard.

Mais cette peur est-elle vraiment justifiée ? Pas nécessairement. Les non-savant.e.s, non-spécialistes, non-folles et non-fous peuvent également éprouver de la joie en lisant La Montagne magique. Voici quelques conseils pour une approche réussie et, oui, divertissante de La Montagne magique.

1. Laissez-vous enchanter

Dans la « préface » de La Montagne magique, Thomas Mann - ou en tout cas le narrateur du livre - déclare que l'histoire de Hans Castorp a « quelque chose à voir avec les contes de fées [...] ». Ce personnage fabuleux (et aussi mythologique) se manifeste dans différents aspects du roman : dans l'apparition récurrente du chiffre 7, dans la nature étrange du lieu où se déroule le récit - le sanatorium « Berghof », un endroit où règnent des conditions temporelles et climatiques inhabituelles et d’où peu de gens sortent vivants - ou dans l'utilisation de personnages archétypaux. Il y a le héros inexpérimenté, Hans, qui se lance dans un voyage incertain. Mais il y a aussi le « maître de maison » du sanatorium, le Dr Behrens, aussi mystérieux que comique; « l’humaniste » italien et guide spirituel du héros, Lodovico Settembrini; la dangereuse séductrice Clawdia Chauchat et une serveuse décrite de manière irritante dans le livre comme une « naine ».

Prenez donc Thomas Mann - ou à tout le moins le narrateur du livre - au sérieux (avec modération toutefois, voir à ce sujet le conseil de lecture n° 5) : lisez le roman comme on lit un vieux conte - en étant ouvert.e aux événements et aux protagonistes qui sont étranges ou en partie incompréhensibles.
 

2. Osez sauter des passages

Sur de longues périodes, La Montagne magique est un livre assez accessible, qui se lit avec plaisir. Et les passages difficiles peuvent être survolés sans pertes énormes (du moins lors de la première lecture ; voir à ce sujet le conseil de lecture n° 7). À titre d’exemple, les longues discussions entre Settembrini, un homme éclairé et peut-être un peu trop optimiste, et son interlocuteur, Leo Naphta, un homme réactionnaire et obscur. Comme l'écrivit un jour le dramaturge anglais W. Somerset Maugham, sauter des passages est tout à fait acceptable, car « une personne raisonnable ne lit pas un roman comme s’il s’agissait d’une tâche, mais plutôt pour se divertir ».
 

3. Demandez de l'aide !

Vous n'êtes pas seul.e - ou en tout cas, vous ne devez pas l'être. Voici deux possibilités : créez un cercle de lecture, de discussion et, en fin de compte, de thérapie de groupe autour de La Montagne magique. Vous serez étonné.e de constater combien de personnes ont envie, et peut-être aussi un peu peur, d’aborder ce livre. Et vous remarquerez à quel point le fait de parler collectivement de littérature contribue à la sécrétion d'hormones du bonheur.

Si vous préférez vous en tenir à une expérience en solo : les bibliothèques et Internet offrent une multitude d'aides à la lecture. Outre les principales biographies de Thomas Mann telles que Thomas Mann : Das Leben als Kunstwerk (traduction littérale: Thomas Mann: la vie en tant qu’oeuvre d’art) de Hermann Kurzke et Thomas Mann : Werk und Zeit (traduction littérale: Thomas Mann: oeuvre et époque) de Dieter Borchmeyer, les livres pratiques suivants peuvent constituer de merveilleux « compagnons de lecture » :
  • Daniela Langer : Erläuterungen und Dokumente zu Thomas Mann Der Zauberberg (traduction littérale: Explications et documents sur La Montagne magique de Thomas Mann)
  • Thomas Sparr : Zauberberge – Ein Jahrhundertroman aus Davos (traduction littérale: Montagnes magiques - Le roman du siècle de Davos)
  • Volker Weidermann : Mann vom Meer. Thomas Mann und die Liebe seines Lebens (traduction littérale: L’homme de la mer. Thomas Mann et l'amour de sa vie)
Nous recommandons également l’essai rédigé en anglais The Anxiety of Difficulty - Trying to Read Thomas Mann de la spécialiste littéraire polonaise Karolina Watroba.

4. Utilisez le livre comme un outil de méditation

Les phrases de Thomas Mann sont souvent longues et enchevêtrées. Après tout, la langue allemande offre des possibilités d'expression qui permettent d’écrire de manière exhaustive, circonstanciée, ludique, parfois irritante, exagérée et en même temps de façon exacte ou mesquine. Thomas Mann en use systématiquement dans La Montagne magique ainsi que dans beaucoup d'autres de ses livres, qu’il s’agisse d’essais ou d’oeuvres littéraires. De telles phrases peuvent être agaçantes. Mais elles possèdent aussi un rythme unique. Elles sont capables de développer un effet d’entraînement pouvant vous faire entrer dans une sorte de courant, de transe contemplative pendant la lecture, tout comme certaines litanies rituelles et certains chants religieux le font. Renoncez à la prétention guindée de considérer chaque phrase d'un livre comme déterminante pour « l’intrigue ». Renoncez même à la prétention de chercher une « intrigue passionnante » - et laissez-vous aller à la musicalité et à la cadence particulières du style de Thomas Mann. Votre esprit vous en remerciera.
 

5. Ne prenez pas « La Montagne magique » au sérieux !

La Montagne magique est une histoire de maladie et de désir de mort décadent. Hans se sent, comme il le dit, « dans mon élément » lorsqu'il est en présence de malades et de mourant.e.s. Mais La Montagne magique est aussi, par endroits, un livre très drôle. Si vous voulez vous en convaincre, lisez par exemple ces passages - à condition bien sûr que vous ayez le sens de l'humour :

Pratiquement tous les passages où le Dr Behrens parle. Sa façon de parler est si particulière - à la fois maladroite, méticuleuse, méchante, inventive, insolente ! - qu'on ne peut s'empêcher de rire à gorge déployée.
Chapitre 3, paragraphe « Gaieté interrompue »: il s'agit ici de la présentation de « l’association des demi-poumons », un groupe bizarre de patientes et patients dont fait partie une certaine « Hermine Kleefeld » qui « peut siffler avec le pneumothorax ».

Chapitre 6, paragraphe « Assaut repoussé » : James Tienappel, l'oncle aussi correct que simple d'esprit de Hans, visite le sanatorium avec le projet de ramener son neveu au « plat pays ». La description que fait Thomas Mann du caractère de James et de sa passion pour Mme Redisch, l'une des patientes, est très drôle.
Chapitre 7, paragraphe « Doutes suprêmes » : au cours d'une séance de spiritisme au sanatorium, un esprit nommé « Holger » est invoqué, qui prétend avoir été poète de son vivant - et il offre aux personnes présentes un échantillon absurde de son art poétique. La parodie poétique de Thomas Mann est malicieuse et drôle.

6. Profitez de votre séjour au « Berghof »

Et aussi : oui, ce livre de Thomas Mann est une immense performance intellectuelle. Oui, c'est une œuvre encyclopédique impressionnante. Oui, il offre une analyse géniale de l'état d'esprit des citoyennes et citoyens les plus distingués d'Europe avant la Première Guerre mondiale. Mais ce livre est également très sensuel. Vous êtes sceptique ? Alors donnez une chance à ces lectures alternatives :

La Montagne magique comme roman d'amour partiellement érotique : c'est ce que montrent les nombreux passages où Hans pense à « Madame Chauchat », l'observe (et est observé par elle) ou lorsqu’il tente de l'approcher. On pense en particulier à un dialogue enflammé, mené en français, entre les deux (dans le paragraphe « Nuit de Walpurgis », chapitre 5) qui est capable de rendre nerveux même les plus indifférents des lectrices et lecteurs.

Un livre de plaisir : dans La Montagne magique, les personnes en bonne santé tombent malades et les personnes malades meurent. Mais tant qu'ils sont en vie, les patientes et patients du sanatorium mènent une existence assez jouissive, que Thomas Mann décrit à merveille. Ils voyagent avec des « sacs à main en cuir de crocodile », font des cures de repos enveloppés dans de coûteuses couvertures en poils de chameau, fument d'excellents cigares, mangent à chaque repas des plats opulents et boivent des vins exceptionnels jusqu'à l'ivresse (par exemple dans le paragraphe « Vingt et un », chapitre 7).

La Montagne magique en tant que Nature Writing : Thomas Mann peut décrire la beauté, la majesté et la violence de la nature de manière époustouflante. Lisez par exemple les descriptions de plantes au début de la section « Encore quelqu’un » ou le fameux paragraphe « Neige » - l'un des textes les plus populaires de la littérature allemande -, tous deux faisant partie du chapitre 6.

7. Revenez bientôt

Le dernier conseil vient de Thomas Mann lui-même :

Que puis-je dire sur le livre lui-même et sur la manière dont il doit être lu ? Le début est une exigence très arrogante, à savoir qu'il faut le lire deux fois. Cette exigence perd immédiatement sa validité si l’on s’ennuie lors de la première lecture. L'art ne doit pas être un devoir d'école ni une corvée, une occupation à on se livre à contrecœur, mais il veut et doit faire plaisir, divertir et animer, et celui sur qui une œuvre n'exerce pas cet effet doit la laisser de côté et se tourner vers autre chose. Mais à celui qui a terminé une première lecture de La Montagne magique, je conseille de la relire, car sa facture particulière, son caractère en tant que composition, fait que le plaisir du lecteur augmentera et s'approfondira à la deuxième lecture - comme il faut connaître la musique pour l'apprécier correctement ». (Thomas Mann, dans un discours aux étudiantes et étudiants de l'université de Princeton en 1939)

L'auteur remercie Jana Burbach et Max Wolf, qui ont contribué à ce texte par leurs idées et leurs mots.

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