Imperfections?
Soyez chics dans l’erreur

multi-disciplinary artist Masoom Parmar Photo (détail) : © Masoom Parmar

Les faux pas en matière de mode sont chose du passé. Les jeunes Indiens de toutes expressions et identités de genre adoptent des styles qui suscitent l’admiration, constate Nirmala Govindarajan.

Nirmala Govindarajan

Qu’il s’agisse de tatouages assortis, de perçages d’oreilles, de tresses ou de couvre-visages avec une touche funky, les jeunes Indiens font fi des normes rigides de la mode pour adopter des styles qui définissent leur personnalité. Résultat : un ensemble d’humains éclectiques aux styles distincts.

À une époque où les normes vestimentaires éprouvées commencent à s’estomper, la beauté, la mode et le style de vie se nourrissent d’expressions fluides de genres. Et la culture queer a toujours eu une énorme influence sur l’industrie mondiale de la mode, souligne l’artiste pluridisciplinaire Masoom Parmar.

Du placard au cinéma et aux défilés

« Vous pouvez l’aimer ou la détester, mais vous ne pouvez absolument pas l’ignorer. L’esthétique psychédélique du créateur de mode Manish Arora n’a cessé de véhiculer des sous-entendus queers, avec des touches de couleurs néon et des motifs fantaisistes, depuis qu’il a fondé sa marque éponyme en 1997. Le défilé 2003 de la Lakmé Fashion Week de Rohit Bal a vu des modèles masculins en jupes arborant du sindoor (vermillon) et des anneaux au nez : un signe que les hommes sont en contact avec leurs côtés féminins. En fait, la mode indienne devient de plus en plus non binaire », explique M. Masoom.

« Ranveer Singh, le tombeur de Bollywood, porte des jupes et des bottes. Aamir Khan, le perfectionniste, porte du kajal (mascara) et se perce le nez. La nation en raffole. Le kediyu (un vêtement à manches longues plissé sur la poitrine), qui est maintenant un incontournable de la mode féminine, a été porté traditionnellement et continue d’être porté par les hommes dans les régions rurales du Gujarat et du Rajasthan. »

Masoom est encouragé par cette tendance. « Mais n’oublions pas que ce n’est rien de nouveau pour les hommes queers, que ce soit en portant du kajal, des jupes ou des bottes, ou en exhibant un bijou au nez », souligne-t-il. « Nous sommes passés par là! Nous connaissions la mode bien avant qu’elle ne devienne une tendance. Au début des années 2000, lorsque j’ai commencé à me percer les oreilles (j’ai treize piercings maintenant, dix dans une oreille et trois dans l’autre!), des amis bien intentionnés et de la parenté moins bien intentionnée m’ont demandé si je voulais entrer en contact avec mon côté féminin! On m’a taquiné lorsque j’ai remplacé mes jeans par des lungis (une longueur de tissu enroulée autour de la taille, couvrant le bas du corps jusqu’aux chevilles) et des sarongs en 2013. Les piercings et les sarongs sont désormais des objets à la mode. Aujourd’hui, mes proches ne se lassent pas de me féliciter pour mes choix vestimentaires. Ils viennent même me demander conseil! »

Alors que les tendances de la mode transcendent les binaires d’expression, Yogita, travailleuse sociale en développement et consultante en communications, parle des conséquences douloureuses du tatouage sur elle-même. Et non, il ne s’agit pas ici de la douleur physique du tatouage, qui, selon Yogita, est supportable.

L’humour dans la « faille »

La chose la plus cocasse qui soit arrivée à Yogita depuis qu’elle a développé sa passion des tatouages est que sa grand-mère et sa mère l’ont boycottée pendant des semaines pour un tatouage qu’elle ne leur avait pas révélé pendant des mois! « Elles s’éloignaient à chaque fois qu’elles me voyaient, comme si l’idée que j’aie un dessin indélébile sur le corps sans leur permission, en tant qu’adulte, était un malheur pour elles », se souvient-elle. « C’était tellement dramatique, on aurait dit une comédie hindie de la fin des années 80! Et ça aurait pu en être une avec succès! »

Ce n’est pas tout : après que Yogita se soit fait tatouer son troisième tatouage, la moitié d’un vif d’or de l’univers d’Harry Potter sur sa main et l’autre moitié sur la main de sa meilleure amie, les suppositions se sont transformées en déclarations. Yogita était manifestement lesbienne, diraient les gens. « En fait, un oncle m’a demandé si j’étais une de ces “femmes gaies”, en essayant de ne pas m’offenser, mais en ayant l’air assez offensé. En 2015, je pensais que c’était un phénomène uniquement indien, mais non. Lorsque j’étais au Royaume-Uni pour mes études, l’homme le plus intelligent que j’ai connu était déconcerté par le fait que je n’étais pas lesbienne (tout d’abord, ce n’était pas de ses affaires). Son raisonnement? Je parlais ouvertement d’identités fluides, et apparemment, voir une photo de mon tatouage avec mon amie devait signifier que j’étais lesbienne. Inutile de dire que cette conversation s’est terminée par un voyage en bus silencieux très gênant, car quoi dire à un homme? “Euh... Non, désolée, je ne corresponds plus à ton fantasme?” C’était hilarant et décevant à la fois, surtout après quelques semaines de baisers! »

Si Yogita croit à une mode affirmée individualiste qui ne tient pas compte du genre, elle estime que globalement, certaines déclarations de mode récentes ont peut-être mal tourné.

La déclaration de mode qui a mal tourné

« Vraiment, quel était l’intérêt de la robe de viande de Lady Gaga? Je ne comprends toujours pas! », s’exclame Yogita. Lady Gaga a éventuellement expliqué dans l’émission The Ellen DeGeneres Show que la « robe de viande » qu’elle portait aux MTV Video Music Awards était un symbole de protestation contre le traitement des soldats homosexuels dans l’armée américaine. Elle ne souhaitait surtout pas manquer de respect aux végétaliens et aux végétariens. « Eh bien », soupire Yogita, « Lady Gaga n’a fait qu’empirer les choses en justifiant sa tenue comme étant une affirmation de  “ses convictions” et en expliquant pourquoi la “robe de viande” était contre les politiques sexospécifiques de l’armée américaine. La robe n’était pas cool du tout! Honnêtement, Miley Cyrus a probablement soulevé un meilleur point dans son clip “Wrecking Ball”! »   

En ce qui concerne les déclarations de chanteurs, le musicien Achintya Vathul, basé à Chennai et portant un « man bun » (ou chignon pour homme), aussi libre d’esprit que soit son choix de carrière, a une chevelure tout aussi bohème.   

Rendez-vous chez le boucher

La chevelure soigneusement peignée d’Achintya a été la cible de plaisanteries dans sa famille pendant la majeure partie de la pandémie. Du moins, sous la forme de préjugés religieux automatiques et nonchalants, les commentaires déguisés en humour. « Cela dit, jamais je n’ai pas pensé que je me laisserais pousser les cheveux », confirme Achintya. « J’étais farouchement opposé à l’idée d’avoir des cheveux longs, par manque de curiosité et d’imagination. Mais quand j’ai décidé de me lancer dans l’aventure, j’étais vraiment excité de faire quelque chose de nouveau pour moi pour la première fois et ça m’a vraiment surpris. Maintenant, j’adore mes longs cheveux. »

Qui plus est, les longs cheveux d’Achintya ont vraiment plus à sa mère, à son grand désarroi. « D’autant plus que je m’attends toujours à ce que mes parents perdent la tête lorsque je fais des choix de vie et de mode qui ne sont pas normatifs. Mais, contrairement à mes attentes, ma mère aime beaucoup ma crinière : elle prétend avoir une fille dont elle peut tresser les cheveux! »

Cependant, ce n’est pas tout le monde dans les cercles d’Achintya qui partage le sentiment de sa mère. « Beaucoup de gens voulaient m’envoyer dans une boucherie, car je ressemblais à mes compatriotes musulmans. Cette attitude ne fait qu’accentuer les préjugés religieux et visuels qui existent dans la vie quotidienne, les gens montrant leur désapprobation sous forme d’affirmations désinvoltes dans des réunions de famille. »

Mode de bien-être

Accepté et critiqué, Achintya avoue avoir été en bonne compagnie dans le « département des coiffeurs débutants », la pandémie étant le « catalyseur ultime de l’expérience de la mode ». « Le plus grand avantage d’avoir une longue tignasse est peut-être qu’elle me fait du bien, tout comme à tous ceux qui en ont une. Et c’est tout! » Eh bien, c’est assez à la mode, Achintya!


Vous pourriez aussi aimer

API-Error