Soudan

June 2022

La lutte des révolutionnaires soudanais pour la liberté  4 min Cinq ans, et la bataille continue

Amna Bihiry mène une manifestation à Khartoum le 30 septembre 2021, tenant une photo de son fils Kisha Abdelsalam, tué lors du massacre du 3 juin 2019.
Amna Bihiry mène une manifestation à Khartoum le 30 septembre 2021, tenant une photo de son fils Kisha Abdelsalam, tué lors du massacre du 3 juin 2019. Photo (détail) : © Wadah Omer

Le peuple soudanais se bat pour sa liberté pour la cinquième année consécutive après la révolution de 2018. Wini Omer s'est entretenue avec des révolutionnaires à Khartoum, à propos de leurs espoirs et des raisons pour continuer à se battre.

« Liberté, paix et justice – la révolution est la décision du peuple. » C'était et c'est toujours le mot d'ordre de la révolution soudanaise pour sa cinquième année. La révolution soudanaise, qui a commencé en décembre 2018, déclenchée par les difficultés économiques et l'oppression du régime islamiste qui a régné pendant 30 ans, est toujours vivante dans sa deuxième vague, exigeant un changement réel et radical. Même après le coup d'État militaire d'octobre 2021 et le recours excessif à la violence contre les manifestant(e)s, les rues continuent d'être témoins de leurs acclamations courageuses. Que signifie la liberté comme exigence politique ? Comment les manifestants(e)s traduisent-ils ce concept dans leur lutte quotidienne pour le changement ? Dans cet article, j’aimerais aborder ces questions avec des révolutionnaires dans les rues de Khartoum.

Reconceptualiser la liberté

La résistance contre le régime d'Al-Bashir et le dernier coup d'État militaire a été menée par les comités de résistance dans tout le pays. Des groupes décentralisés de jeunes bien organisés sont en première ligne pour la mobilisation, le travail bénévole dans leurs quartiers et la construction de visions alternatives du pays et des paysages politiques. Mohamed Abdelraheem, membre des comités de résistance, considère la liberté comme un concept et une pratique qui change et se transforme quotidiennement et qui a de multiples définitions selon les intérêts sociaux et politiques des individus.

Après la chute d'al-Bashir, pense Mohamed, les révolutionnaires sont passés des généralités à des réflexions plus détaillées sur le changement politique, notamment leurs réflexions sur la liberté. L'élément subjectif semble ici être la connotation dominante, mais dès la signature de l'accord du 17 août 2019 entre militaires et civils, les grandes questions sont devenues plus visibles et plus urgentes. « Les politiques économiques du gouvernement de transition et la position sur le partenariat militaro-civil et les suites de ce partenariat ont posé de nouvelles questions. Que veut dire liberté ? Et à qui appartient exactement la liberté qui s'exerce à travers ces politiques d'austérité ? Qui sera libéré selon l’accord et qui sera asservi ? Quels groupes vont s'appauvrir et lesquels vont croître et prospérer ? », se demande Mohamed.

Ces questions de justice sociale et d'inégalités sont devenues évidentes dès que les politiques sociales et économiques du gouvernement de transition se sont révélées. « Le mot liberté lui-même est très général dans sa signification et donc trompeur. Beaucoup ont été réprimés par l'appareil militaire et de propagande de l'État, car ils n'étaient pas des spécialistes et ils n'étaient pas des technocrates pour parler de la situation économique de leur vie ! », déclare Mohamed, en accord avec de nombreux autres militant(e)s.

Faire taire les gens ordinaires, au nom des visions de l'économie des technocrates et des employés bien instruits, a laissé aux citoyens de nombreuses revendications sociales et économiques, mais aucune réponse du gouvernement de transition ni des putschistes par la suite. Ainsi, rien n'a réellement changé par rapport au régime d'Al-Bashir. Cela a laissé les Soudanais incapables de choisir ou d'agir en tant que citoyens libres.

  • Manifestations pro-démocratie contre le coup d'État militaire à Khartoum le 6 janvier 2022.13. Janvier 2022 : Manifestations contre le coup d'État militaire, Khartoum. Photo (détail) : © Wadah Omer

    Manifestations pro-démocratie contre le coup d'État militaire à Khartoum le 6 janvier 2022.13. Janvier 2022 : Manifestations contre le coup d'État militaire, Khartoum.

  • 13 janvier 2022 : Manifestations contre le coup d'État militaire, Khartoum. Photo (détail) : © Wadah Omer

    13 janvier 2022 : Manifestations contre le coup d'État militaire, Khartoum.

  • Barricades et pneus enflammés lors de la manifestation contre le coup d'Etat militaire le 13 janvier 2022 à Khartoum. Photo (détail) : © Wadah Omer

    Barricades et pneus enflammés lors de la manifestation contre le coup d'Etat militaire le 13 janvier 2022 à Khartoum.

  • Le troisième anniversaire de la révolution le 19 décembre 2021. Une manifestation pro-démocratie contre le coup d'État militaire à Khartoum. Photo (détail) : © Wadah Omer

    Le troisième anniversaire de la révolution le 19 décembre 2021. Une manifestation pro-démocratie contre le coup d'État militaire à Khartoum.

  • Des femmes soutenant la manifestation du 19 décembre 2021 contre le coup d'État militaire dans les rues de Khartoum. Photo (détail) : © Wadah Omer

    Des femmes soutenant la manifestation du 19 décembre 2021 contre le coup d'État militaire dans les rues de Khartoum.

  • 19 décembre 2021 : Manifestation pro-démocratie contre le coup d'État militaire à Khartoum. Photo (détail) : © Wadah Omer

    19 décembre 2021 : Manifestation pro-démocratie contre le coup d'État militaire à Khartoum.

  • Inauguration du siège des familles des martyrs à Khartoum le 19 décembre 2019. Photo (détail) : © Wadah Omer

    Inauguration du siège des familles des martyrs à Khartoum le 19 décembre 2019.

​​​​​​​ Mohamed précise sur ce point : « Aujourd'hui, la liberté est considérée comme le droit à la vie, le droit à l'éducation, à la santé et aux services de base, le droit à l'organisation politique, syndicale et sociale, le droit d'administrer nos ressources locales et de contrôler la distribution des ressources et d'arrêter le pillage organisé des ressources par la milice et l'armée. » Pour Mohamed, la liberté signifie le droit du peuple soudanais à gouverner son propre pays, liberté empruntée en tant que slogan politique et incarnée aujourd'hui dans le récent slogan scandé par les révolutionnaires lors des manifestations : « La santé et l'éducation sont gratuites et le peuple vit en sécurité, la révolution est la révolution du peuple et l'autorité est l'autorité du peuple. »

Penser aux moins privilégiés

Pour Rayan Mamoun, militante féministe, le droit à la vie et la liberté de choisir sont au cœur de sa revendication pour la liberté en tant que féministe. « En examinant les réalités des femmes soudanaises, des femmes ont perdu la vie à cause du manque d'autonomie sur leur corps et de l'utilisation continue du viol comme arme de guerre par les forces de sécurité gouvernementales, et pour punir les femmes révolutionnaires pour avoir agi et pratiqué leur liberté d'expression », dit Rayan.

Alors que les revendications et l'agenda des femmes ont été réprimés à la fois par les partis politiques et le gouvernement de transition, il existe deux discours politiques différents au sein de la société civile. D'une part, il y a l'accent mis sur la représentation politique des femmes en tant qu'agenda principal et, d'autre part, il y a le discours intersectionnel, qui tente de répondre aux différents besoins et défis auxquels font face les femmes.

Rayan se concentre sur les privilèges et les relations de pouvoir. Au Soudan, des facteurs tels que l'ethnicité, la classe, le statut social et l'affiliation politique jouent un grand rôle dans la détermination de la vie des femmes, de leur capacité à accéder à la justice et de leurs choix de vie en premier lieu. Des femmes et des filles ont été terrorisées pour avoir résisté au coup d'État militaire, ont été violées, détenues ou même tuées pour avoir choisi de s'opposer à l'oppression. « Les notions culturelles et patriarcales qui privent les femmes du droit même de décider de ne pas avoir un mariage précoce, parce qu'elles sont contraintes par des notions sociétales et culturelles, mais aussi qu'elles n'ont aucune connaissance de leurs droits, c'est ce contre quoi je travaille. », a ajouté Ryan.

Les femmes soudanaises ont défilé plus d'une fois depuis 2018, dans de nombreuses villes du pays, pour protester contre les violations et exiger protection et dignité. « Tout cela signifie réaliser la liberté d'expression, la liberté de religion, la liberté de choix de vie. Cela me fait penser à toutes celles qui ne sont pas également privilégiés ou minoritaires, qui devraient se lever et exiger les libertés dont elles ont été privées. Elles devraient détruire tout ce qui limite leur vie ou contraint leurs choix car la liberté n'est pas limitée aux hommes, aux riches et aux puissants », a abondé Rayan.

De nombreux obstacles empêchent les femmes d'accéder à la liberté et aux droits fondamentaux. Mais alors que la révolution se poursuit, les femmes continuent également de descendre dans la rue pour se révolter pour leur liberté, leur dignité et leur égalité d'accès.

« Il est très important de considérer que tous les groupes sociaux (ndlr : classes populaires, minorités culturelles et religieuses, populations rurales, entre autres) qui ont été soumis à la domination idéologique du régime d'Al-Bashir, tous ces groupes sociaux voient le fait d’être libéré de son système comme terrain futur à travers lequel des changements sociaux et politiques peuvent être réalisés - basé sur la liberté elle-même comme base et comme l’incarnation d’un nouveau format », a conclu Mohamed.
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Alors que la révolution se poursuit, les organisations de base travaillent constamment à développer leurs visions pour construire l'État qui garantit la liberté de tous ses citoyens et répond à tous les griefs du passé ; cette étape stratégique étant suivie par la lutte quotidienne pour établir le pouvoir du peuple et un régime entièrement civil.