Musique actuelle d'Allemagne  Popcast #2/2025

Ce mois-ci avec la musique de: 

B O D I E S | Grönland
Sinem | Fun in the Church
Yu | Yu
Die Goldenen Zitronen | Buback
Das Format | Paulapaulplatten
Auteur: Angie Portmann
Locateur (Anglais): David Creedon  
Speaker Female Voice-Overs (English): Louise Hollamby Kühr

  B O D I E S est une création inventive de la chanteuse, compositrice et productrice australienne Kat Frankie, qui vit à Berlin. Sur scène, Frankie, accompagnée de sept brillantes chanteuses, dont la superbe Albertine Sarges, que les lecteurs attentifs du Popcast devraient déjà connaître, présente une performance a cappella sur ce que cela signifie d’être fait de matière. Les chœurs sphériques du groupe, vulnérables mais robustes, mettent en contraste leur beauté et leur harmonie intemporelles avec les textes mélancoliques et apparaissent à de nombreux endroits comme un contre-projet défiant l'absurdité et la cruauté du présent. Outre des passages d'apparence classique, l'album est également marqué par des passages mélancoliques entre pop et soul, qui révèlent l’éventail impressionnant des possibilités des membres du groupe. Les travailleu.ses.rs turc.e.s attirés en Allemagne dans les années 60 y ont établi une solide sous-culture avec leurs chansons et leurs stars qui, bien qu’elles aient été entendues des millions de fois dans leur pays d’adoption, étaient à peine connues dans leur pays d'origine. Elles ont été révélées il y a quelques années seulement sous forme de collections bien documentées comme celles-ci: Songs of Gastarbeiter d'Imran Ayata & Bülent Kullukcu ou le superbe documentaire Liebe, D-Mark und Tod (à voir gratuitement jusqu'au 13 février sur notre chaîne Goethe on Demand). La deuxième génération de ces artistes entreprend désormais de réunir le passé et le présent. C'est le cas de la chanteuse d'origine turque Sinem Arslan Ströbel, qui a grandi en Haute-Bavière et qui, sur son premier album Köşk, réinterprète, de façon plus pointue et plus moderne, des chansons pop classiques turques avec les musiciens munichois Tagar, du groupe Friends of Gas (guitare), et Tom Wu (batterie, boucles). On y découvre, comme c'était déjà le cas avec Derya Yildirim et son Grup Simsek, une musique accrocheuse et passionnante qui aurait dû enrichir la culture allemande depuis longtemps. C'est une bonne chose que cela se fasse enfin et, comme Sinem le dit elle-même, « tout se met enfin en place maintenant ».   Depuis quelques mois, Yunus Emre Can aka Yu, âgé de vingt-et-un ans seulement et originaire d'un village près de Cologne, prend des positions politiques combatives. Ses débuts, il les a faits sur TikTok uniquement. Que ce soit en s’insurgeant contre les nazis, en critiquant le capitalisme, en parlant de santé mentale ou en prenant position pour les droits des personnes trans, il s'est taillé une place dans le milieu de la musique indépendante allemande avec des paroles radicales, une pop accrocheuse et en employant la langue de sa génération. Son premier album Please Hold The Line, entièrement coproduit par lui-même, sort maintenant, et il s'agit plus que d'une simple collection de morceaux déjà connus. Que ce soit en tant que rappeur, artiste de punk, crooner ou chansonnier, Yu se glisse sans peine dans les rôles les plus divers et ne perd jamais le contrôle grâce à sa voix d'une maturité impressionnante. Heureusement, même si la qualité des compositions varie légèrement, le niveau d'énergie reste énorme. La révolte se transforme en fête, les festivals d’été se pointent le bout du nez. C'est en 1984 que se sont formés à Hambourg Die Goldenen Zitronen, un groupe punk atypique, soucieux de justice sociale et dont l'humour décapant s'opposait à la germanité guindée et à la bourgeoisie des « sacs de poivre » (riches marchands), un mélange réussi d'énergie punk nerveuse et d'esprit de lutte socialiste. Le groupe est toujours actif aujourd'hui, son énergie semble intacte et son attitude indomptée, même si son dernier album remonte à quelques années. Cet épisode du Popcast tente une rétrospective des 40 ans des « Goldies » ; 13 albums dans lesquels ils prennent régulièrement position sur les événements politiques décisifs du jour et sur la politique en général, la politique des réfugiés en Allemagne et en Europe, le racisme quotidien et systémique, le capitalisme qui éclipse tout ainsi que la léthargie et l’absence de volonté politique à s'attaquer à ces enjeux. Musicalement, ils sont passés d'un punk rock teinté de rockabilly à des miniatures électroniques, mais cela n'a pas entamé leur intensité et on les reconnaît facilement parmi des millions grâce à la voix plus criée que chantée de Schorsch Kamerum, qui sonne toujours un peu comme un plaignant obstiné.  Le catalogue considérable recèle quelques perles entraînantes, dont aucune n'a encore toutefois connu de succès commercial en particulier. Lors de leurs spectacles légendaires, ils apparaissent dans des costumes fantaisistes et colorés, tels les fiers rois d'un conte socialiste des Mille et une nuits. La rédaction du Popcast lance un grand bouquet de fleurs en direction des Goldies et se réjouit déjà des 40 prochaines années. C'est sur vinyle que paraissent les publications du trio bruitiste d'Augsbourg Das Format, ce qui n'a rien d'étonnant puisque les propriétaires de leur maison de disques possèdent également une usine de pressage. Pour le reste, ils se déchaînent allègrement, ces trois musiciens du sud. Ils sont mécontents et le font savoir en faisant beaucoup de bruit et en jouant avec une joie débridée. Ils ont un répertoire impressionnant allant du garage rock enragé au shoegaze mélancolique ainsi qu’un sens aïgu des accroches entraînantes et des arrangements efficaces : il n’y a aucune note de trop, aucun passage trop long, l'album garde toujours un suspense malgré sa grande diversité. Un groupe qui, à coup sûr, sera aussi une expérience en live !