Pour le 80e anniversaire du 8 mai 1945  Une libération sans fin de guerre 

Célébrations du VE-Day à Toronto le 8 mai 1945
Célébrations du VE-Day à Toronto le 8 mai 1945 © City of Toronto Archives; Fonds 1257, Series 1056, Item 195

En Europe, la commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale tombe au début du mois de mai dans de nombreux pays. Les Pays-Bas commémorent le jour de la libération et de la victoire sur le régime nazi le 5 mai, la France et l’Allemagne le 8 mai et la Russie le 9 mai. Les nations nord-américaines ont également à cœur, jusqu’à aujourd’hui, de commémorer les morts de la Seconde Guerre mondiale - sauf qu’elles n’ont pas de jour férié officiel le 8 mai. Un regard transatlantique sur le 80e anniversaire de l’armistice sur le continent européen.

Une commémoration disputée

La capitulation inconditionnelle n’a pas signifié d'emblée la « libération » pour l’Allemagne. Les combats ont certes pris fin, mais une autre souffrance a commencé pour la population allemande sous la forme de la perte de la patrie, de la faim et d'une vie en ruines. La division en zones d’occupation a conduit à la création de deux États et, au fil des décennies, à l’attribution d’une valeur différente au 8 mai à l’Est et à l’Ouest. En RDA, sous l’influence de l’Union soviétique, on a très tôt célébré un « jour de la libération du peuple allemand du fascisme hitlérien ».
Le président américain Reagan et le président allemand Richard von Weizsäcker lors d'une visite d'État en RFA en 1985.

Le président américain Reagan et le président allemand Richard von Weizsäcker lors d'une visite d'État en RFA en 1985. | Bundesarchiv, B 145 Bild-F070059-0005 © CC-BY-SA 3.0

Il en va tout autrement en Allemagne de l’Ouest : si l’on a tenté de donner une signification positive à cette journée avec l’adoption de la Loi fondamentale en 1949, les expériences d’une douloureuse défaite lors de la Seconde Guerre mondiale ont néanmoins longtemps dominé. L’historien Martin Sabrow parle même d’un « consensus étatique sur le silence » qui empêchait toute discussion sur la guerre. Ce fut donc un tremblement de terre lorsque le président allemand Richard von Weizsäcker lut en 1985 au parlement de Bonn : « Le 8 mai était un jour de libération. Il nous a tous libérés du système inhumain de la tyrannie nationale-socialiste ».
Le 8 mai a été un jour de libération. Il nous a tous libérés du système inhumain de la tyrannie nationale-socialiste.
Richard von Weizsäcker

Une Victoire - en Europe

Pour les anciens alliés aux Etats-Unis et au Canada, le 8 mai est certes un jour d’importance historique, mais pas une fête nationale. Le rôle actuel, plutôt secondaire, de cette date s’est dessiné dès 1945. Des foules euphoriques à New York et Toronto témoignaient de leur joie à l’occasion du Victory over Europe Day (VE-Day). Pour la première fois depuis l’attaque dévastatrice de Pearl Harbor, il a été décidé d’illuminer de nuit des monuments emblématiques comme la Statue de la Liberté à New York, le Washington Monument et le Capitole de la capitale.
Truman lors de la proclamation de la victoire

Le président Harry Truman lors de la proclamation de la victoire en Europe le 8 mai 1945 | © Truman Library Institute

Le président Harry S. Truman avait même une double raison de faire la fête : une victoire et son anniversaire. Pourtant, dans sa proclamation du matin du 8 mai 1945, le président américain souligna qu’il restait encore beaucoup à faire, que la victoire remportée à l’Ouest devait maintenant être gagnée à l’Est également. Un avis partagé par une mère interrogée par le Washington Post : « Je ne peux me réjouir qu’à moitié. Les soucis pour mon garçon en Europe sont terminés, mais j’ai encore un autre fils dans le Pacifique ».

Des manifestations à l’occasion du 8 mai sont prévues cette année dans les deux pays, mais les jours fériés officiels à la mémoire des soldats morts à la guerre sont célébrés de manière collective aux États-Unis lors du Memorial Day fin mai et au Canada lors du Remembrance Day en novembre. Les deux traditions remontent à bien plus loin que la Seconde Guerre mondiale. Ce qui a constitué un tournant pour l’Allemagne et de nombreux autres pays européens est aujourd'hui d’une importance moindre pour les nations nord-américaines.
Je ne peux me réjouir qu'à moitié. Les soucis pour mon garçon en Europe sont terminés, mais j'ai un autre fils dans le Pacifique.
Eine Mutter am Journée de la Victoire sur l'Europe à Washington, D.C.

Les alliés oubliés

Le rôle du Mexique dans la Seconde Guerre mondiale est souvent ignoré, surtout dans une perspective européenne. Le pays n’a déclaré la guerre aux puissances de l’Axe qu’à l’été 1942, après que des sous-marins allemands aient coulé deux cargos dans le Golfe du Mexique. Certains Mexicains ont participé à l'offensive en Normandie, comme le pilote Luis Pérez Gómez pour l'armée de l'air canadienne et José M. López pour les forces américaines, qui a été décoré de la Medal of Honor. L'engagement de soldats mexicains aux côtés des forces aériennes américaines dans le Pacifique jusqu'à la fin de la guerre en septembre 1945 est plus connu.
Le pilote mexicain Radames Gaxiola Andrade et son équipe dans le Pacifique devant un avion de combat américain.

Le pilote mexicain Radames Gaxiola Andrade et son équipe dans le Pacifique devant un avion de combat américain. | © USAAF

Des milliers de Mexicains ont également aidé leur voisin du nord dans les travaux de récolte et dans l’industrie afin de compenser le manque de main-d’œuvre sur le « Home Front ». Le programme bracero (bracero = « travailleur manuel ») n’a pris fin qu’en 1964, après 22 ans, et a été remplacé par une classe de visas pour le travail agricole. Aujourd’hui encore, des centaines de milliers de personnes d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud travaillent dans le secteur agricole aux Etats-Unis. Du point de vue mexicain également, la fin de la guerre en Europe ne joue donc qu’un rôle secondaire. Le 8 mai, le pays commémore plutôt un héros populaire national : Miguel Hidalgo y Costilla, le leader du mouvement d’indépendance mexicain.
Près de Stockton, en Californie : Des ouvriers agricoles mexicains récoltent des betteraves sucrières, mai 1943

Près de Stockton, en Californie : Des ouvriers agricoles mexicains récoltent des betteraves sucrières, mai 1943 | © Marjory Collins / Library of Congress, Prints & Photographs Division, Farm Security Administration/Office of War Information Black-and-White Negatives

Ce qui nous reste du 8 mai

En Allemagne, les débats politiques actuels sur le 8 mai comme jour férié national sont d’un part marqué par des craintes quant aux conséquences économiques. D’autre part, les partis et les organisations se disputent sur la signification historique de cette journée. C’est surtout dans les milieux d’extrême droite que couve encore aujourd’hui l’idée de « défaite ». Aux Etats-Unis, Donald Trump a annoncé vouloir célébrer à l'avenir le 8 mai comme « jour de la victoire de la Seconde Guerre mondiale » - bien que celle-ci ne se soit officiellement terminée qu'avec la capitulation du Japon le 2 septembre 1945. Ainsi, 80 ans plus tard, le débat sur la commémoration de cette journée n'est pas clos des deux côtés de l'Atlantique.