Philadelphie, 9 septembre 2025   Déplacer le Mur de Berlin

Portrait von Iven Yorick Fenker auf hellblauem Hintergrund mit einer Hand, die einen Stift hält © Ricardo Roa
J'ai touché le Mur de Berlin, à Berlin, lorsque ma mère m'a rendu visite la dernière fois. « Je veux revoir l'East Side Gallery », m'a-t-elle dit. Nous avons alors longé les sections du mur recouvertes de graffitis. Pendant qu'elle me racontait comment c’était dans le Berlin divisé, et qu'elle avait acheté un exemplaire du Capital de Karl Marx avec l'argent qu'elle avait dû échanger à la frontière contre des Ostmarks, j'ai laissé ma main glisser sur le béton, jusqu'à ce que la peau de mes doigts devienne toute rugueuse.

Ici à Philadelphie, je ne peux pas toucher le Mur de Berlin. Ici à Philadelphie, le Mur de Berlin est derrière une vitre en plexiglas. C'est un de mes amis qui l'a expédié, cela ne nous a rien coûté ! Nous avions deux morceaux du Mur de Berlin, l’un se trouve désormais à l'ambassade. C'est celui qui était en moins bon état, nous explique le monsieur âgé qui nous fait visiter la German Society of Pennsylvania, à Sonali et moi.

La société a son siège dans une villa ancienne, selon les normes américaines, datant de 1888. C'est la plus ancienne représentation d'une communauté nationale aux États-Unis, dit-il. Fondée à l’époque pour défendre les droits des Allemands émigrés, qui devaient rembourser leur traversée par un travail éreintant une fois arrivés. Aujourd’hui, il s’agit de préserver la culture allemande, nous explique ce monsieur originaire de Leipzig, là où Sonali et moi étudions à l’Institut allemand de littérature, et où il est retourné après la chute du Mur. Parce qu’il y avait du travail à faire, dit-il. « J’avais déjà la famille ici », ajoute-t-il, en parlant de la Pennsylvanie.

Mais je me suis occupé du paysage, dans lequel ma famille possédait autrefois un domaine, dans la région où l’on exploitait le charbon en RDA, et qui a donc disparu. Le charbon contient plus de soufre à Leipzig que dans la Ruhr, dit-il. Il me parle du paysage de son enfance, de la poussière noire qui s’y est déposée à cause de l’utilisation d’énergies fossiles, et du fait qu’il voulait inverser cela : Je voulais que ça redevienne beau là-bas, dit-il, et je pense », ajoute-t-il, que j’y suis arrivé.

Aujourd’hui, autour de Leipzig, il y a des lacs dans lesquels nous allons nager l’été, disons Sonali et moi en riant. La prochaine fois que je serai à Leipzig en été, au bord du lac, je penserai à lui, et au fait qu’il pleuvait autrefois de la poussière noire ici.

C'est en Pennsylvanie que vivent la plupart des personnes d'origine allemande. Mais nous ne faisons pas d’Oktoberfest , dit notre guide originaire de Leipzig. Tout le monde fait ça ici ! Nos fêtes de la bière sont cependant très populaires, ajoute-t-il, et je hoche la tête en buvant une gorgée de Yuengling « America’s oldest Brewery » est inscrit sur la bouteille. La bibliothèque qu’on nous montre maintenant est également ancienne. Elle se trouve au dernier étage de la villa et a déjà servi de décor à plusieurs films. Mais malheureusement, plus personne n’emprunte de livres en allemand, nous dit le deuxième monsieur âgé qui nous fait visiter la Society. La bibliothèque est devenue au fil du temps une bibliothèque de recherche.

Nous parlons tout le temps en allemand. Puis nous parlons de football. Son équipe, le Borussia Mönchengladbach, et la mienne, le Hamburger Sportverein, se sont récemment quittées sur un match nul. Nous haussons les épaules. Sonali n’a rien à dire à ce sujet, les hommes s’adressent d’ailleurs davantage à moi qu’à elle. Et puis, elle ne boit pas de bière, mais du vin, et le football ne l’intéresse pas.

En fait, nous voulions organiser votre lecture ici, parmi tous ces livres, disent les deux hommes, mais les travaux de rénovation ont pris du retard et l'arrière de la salle de lecture est encore masqué par des bâches.
Notre soirée se déroule dans la salle voûtée de la Society, revêtue de bois plaqué. Les armoiries sculptées des Länder allemands sont accrochées aux murs. Sur la colonne à côté de laquelle je suis assis, il y a le cheval blanc sur fond rouge. La Basse-Saxe, où que j’aille.

L’endroit ressemble aux salles des clubs de tir où mes amis d’autrefois fêtaient leurs anniversaires, et il en a aussi l’odeur. On nous présente, nous parlons désormais anglais, en tant que Writers from Germany on a tour through the United States. Sonali lit un texte dans un anglais parfait, avec un accent britannique. Moi, je lis un texte dans un anglais et avec une prononciation que l’on comprend ici, mais qui me gêne.

Nous répondons ensuite aux questions du public. Lorsqu’ une professeure d’allemand demande si nous percevons l’influence croissante de l’anglais sur la langue allemande comme une menace, nous répondons qu'il est bon que les choses évoluent. Les explications sur l'évolution de la langue et l'influence de personnes longtemps exclues de la littérature résonnent dans la salle, amplifiées par le micro.

Puis quelqu’un est autorisé à poser une dernière question, mais se perd dans ses propos, qui ne mènent à aucune question, jusqu’à évoquer la Russie. Ce que l’on doit penser de Dostoïevski restera sans réponse ce soir. La Russie nous semble lointaine ici aujourd'hui, l’Allemagne nous est proche. Peu après, des drones russes pénétreront dans l'espace aérien européen.

Les opinions exprimées dans ce texte sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions ou les positions du Goethe-Institut.

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