J'aimerais pouvoir écrire ce texte. Mais ensuite, nous sommes allés dîner.
En chemin : un homme et ses deux amies engagent une conversation avec Iven sur l'Allemagne, la littérature, le voyage. Comme dans certaines conversations, je n'existe pas ici, on ne me regarde pas, on ne me pose aucune question. Ce n'est pas nouveau, ni ici, ni chez moi. Iven doit dire bonjour dans une vidéo à leurs amis Renate et Dieter de Stuttgart. Je me retrouve par accident dans le cadre. Ils se disent au revoir avec enthousiasme, l'une d'elles fait signe de la main, dans l'autre elle tient une casquette MAGA.
Au revoir Renate, au revoir Dieter.
Avant même que nous ayons le menu, une dispute éclate. De l'autre côté de la rue se trouvent deux hommes, l'un portant un t-shirt Trump, l'autre non.
Le premier lance à l’autre : « You know, you’re supporting a pedophile. » L’autre se met à hurler : « Biden is the pedophile. You’re the pedophile. »
Deux femmes afro-américaines, assises à quelques tables de là, interviennent : « Leave him alone », disent-elles, puis ajoutent : « Trump IS a pedophile, that’s just a fact. »
Des cris, des hurlements.
La fille du partisan de Trump trouve les mots pour mettre fin à la dispute. Elle tire son père par la manche, se retourne une dernière fois et crie, aussi fort que sa voix le lui permet : JESUS LOVES YOU!
Dans le restaurant, des acclamations, des applaudissements. Trois femmes assises à côté de nous scandent USA! USA! USA!, comme mes amis et moi à Gießen, ironiquement et après deux verres de vin. Ce n'est qu'à ce moment-là que je remarque que chacune porte une casquette MAGA, une rouge et deux bleues. Des passants ne cessent de défiler devant elles, les regardent et leur lancent : I really like your hat! - et les acclamations reprennent de plus belle. La plupart d'entre eux portent la même casquette, certaines des t-shirts sur lesquels est inscrit: Police Lives Matter.
La fille de migrants est assise à côté et tremble. J’ai la nausée, je suis en colère, j’ai peur. Je m’emporte en allemand avec Iven, je ne sais pas quoi faire de moi-même. Je vais vers les deux femmes afro-américaines et m’accroupis à côté d’elles. Je les remercie. Elles répondent : Pas de quoi. Elles disent qu’elles viennent de Philadelphie et qu’au début, c’était difficile de se faire des amis. Elles disent : « Ici, tout est différent. »
De retour à table, je secoue plusieurs fois la tête. La plus bruyante des femmes MAGA, aux cheveux courts, androgyne, me regarde. « You okay there ? », me demande-t-elle d'un ton provocateur.
« Yeah », lui réponds-je. « All good. You ? »
« Oh, I'm great », répond-elle sarcastiquement. «
I just see that you‘re staring at me. Your stare is literally piercing my skull and so I just wanna know if you’re okay.
I’m okay, if you’re okay», lui répondis-je. . Are you okay? »
« I already said I’m okay . », dit-elle plus fort.
« Well », dis-je en tremblant, « I guess that means that we’re both okay.
Nous nous regardons. Sa bouche est crispée, ses yeux plissés. Mon pouls s'accélère.
Je détourne le regard, je me concentre sur notre prochaine lecture. Je demande à Iven où se trouve notre prochain hôtel, quand notre train part.
150 000 extrémistes de droite manifestent dans les rues de Londres et la femme à côté de moi dit : «I can just feel her staring at me. »
Je fixe mon assiette, le brocoli, le vin, Iven.
Trois fois plus de personnes en Rhénanie-du-Nord-Westphalie votent désormais pour l’extrême droite, et la femme à côté de moi dit : « That lady right next to us. I swear she’s staring at me. »
Pâtes, assiette, verre, Iven: « Tu crois qu'il y a un service de blanchisserie à l'hôtel ? »
Sur le chemin de la gare, deux jeunes hommes s'agenouillent devant une image de Charlie Kirk et la femme à côté de moi dit : « It hasnt been easy these past years. » Et je sais à quoi ressemblent les voix imprévisibles.
J'aimerais pouvoir écrire un autre texte. Mais ce que je voudrais encore plus, c’est que tout soit différent ici. Un autre homme passe à côté de nous, lui fait un signe de tête et dit : « Nice hat you’re wearing there! » Nos regards se croisent brièvement. Elle sourit en coin, continue de manger, puis me lance : « Welcome to America. »
Les opinions exprimées dans ce texte sont celles de l'autrice et ne reflètent pas nécessairement les opinions ou les positions du Goethe-Institut.