Syrie

Mar. 2023

Perspectives d'Avenir?!  3 min Qui d'entre nous vit une aliénation plus dure?

Portrait of a girl holding a Syrian flag. ©Canva

La guerre en Syrie a profondément affecté son peuple. Comment cela a-t-il façonné la perspective d'une génération devenant adulte pendant cette période difficile ? Jenan Aljundi (25 ans) avait 13 ans lorsque la guerre a éclaté. Dans son essai personnel, elle donne l'intérieur des sentiments d'aliénation d'une jeune femme restée en Syrie, tout en voyant ses amis et sa famille émigrer vers d'autres pays.

La question à propos de nos rêves est abordée au début de chaque année scolaire, l'enseignant essaie ainsi de briser la glace avec ses élèves en nous posant des questions sur nos rêves et nos aspirations et sur ce que nous souhaitons devenir une fois plus grands. Les réponses sont attendues, comme d'habitude, certains d'entre nous veulent devenir médecin, car la médecine en Syrie jouit d’un statut social prestigieux, en plus d'être une excellente source de revenus pour les familles syriennes, certains autres veulent devenir ingénieur, menuisier ou forgeron, ou employé dans un centre de beauté, etc. Partir ailleurs était toutefois loin de nos aspirations, car le système éducatif syrien prépare les étudiants à travailler sur le territoire syrien et non à l'étranger, il ne se concentre pas sur les autres langues, les compétences informatiques ou la formation pratique qui prépare les étudiants à entrer sur le marché du travail. Au contraire, le système éducatif nous oriente pour rester en Syrie, dans le cadre d'emplois spécifiques dans toutes les institutions étatiques, c'est pourquoi nous n'avons pas pensé à voyager ni même à planifier de le faire, car la réalité dans laquelle nous vivions, nous y obligeait. Lorsque la révolution syrienne a commencé, les travailleurs et les étudiants universitaires étaient très présents dans les manifestations, et en constituaient l'écrasante majorité, sortis pour demander la liberté, la dignité et l’accès à une vie décente loin de l’humiliation et de la désolation que nous vivions.

L’Exil à domicile

A cette époque, j'étais une petite fille, mais j’étais témoin de ce qui nous arrivait tous les jours. Au fil du temps, nous savions avec certitude que notre situation commençait à se détériorer, nous avons alors été confrontés à la violence, aux coups, aux arrestations, au blocus économique, et à une pléthore d’autres problèmes qui ont fini de détruire ce qui nous restait de rêves. À ce moment précis, j'ai commencé à entendre parler de personnes parties dans d'autres pays, ceux-là pourraient peut-être contenir et protéger ce qui restait de nous. Nous avons dès lors commencé l’expérience de la perte ; dire Adieu, je veux dire, dire au revoir à ceux que nous aimons, est devenu partie intégrante des nos us et coutumes. Depuis, quand nous apprenons que l’un de nos amis avait décidé d'émigrer, nous nous précipitons dans ses bras, de peur qu’il nous oublie, et nous nous regroupons, munis de nombreux petits cadeaux de poids léger, adaptés à ce voyage dangereux, afin de laisser dans le cœur et l’esprit de l’émigré un souvenir, un rappel que nous sommes toujours là, que nous souffrons toujours, et qu’il y a toujours une place pour le rêve dans nos esprits.

Aujourd'hui, douze ans après le déclenchement de la révolution syrienne, nous qui n'avons pas immigré, sommes devenus plus exilés que nos compatriotes vivant dans d'autres pays. Quand notre soleil se lève, je me souviens très bien que la personne avec qui je partageais mes journées, était partie, et je pleure, quand je marche dans les rues de ma ville - dans laquelle j'ai grandi et dont je connais les moindres détails - je ne reconnais pas les visages des gens qui y passent, et je me sens seule, étrangere et aliénée. Lorsque je rencontre un problème qui peut entraver mon chemin, je ne sais pas avec qui je veux le partager, et je crois que vivre dans les conditions difficiles de la guerre et réfléchir par soi-même à ce qui se passe autour de soi est l'une des épreuves les plus dures que peut vivre un être humain. Ces sentiments sont l'essence même de l'aliénation et du sentiment d’exil, ressentir l’ampleur de votre isolement par rapport à ce qui vous entoure, que vous seul avez ces pensées, vous ressentez alors que la folie tourmente votre esprit pendant quelques secondes, puis vous revenez à la raison, et comprenez enfin de compte que ce que vous vivez est une chose naturelle dans des circonstances décidemment affligeantes.  

La chose la plus difficile dans laquelle nous qui sommes coincés en Syrie vivons est de nous interroger sur nos conditions, alors nous nous noyons dans des discussions sur nos mauvaises conditions financières, sur nos universités qui travaillent quotidiennement pour nous rejeter à l'étranger, ou sur notre système de santé qui nos dérobe des années de vie, à travers son incapacité à traiter les maladies transmissibles qui se propagent durant le conflit, comme le choléra, la tuberculose, la brucellose et d'autres, nous mourons mille fois par jour avant de revenir épuisés vers nos familles. Nous espérons que tout cela se termine, en plongeant dans les problèmes de la vie quotidienne et notre incapacité à couvrir nos besoins humains fondamentaux, nous oublions de parler de nos âmes épuisées, de nos nombreux troubles psychologiques, de nos esprits saturés par la perte, de pauvreté et d'humiliation. Chaque jour, nous accumulons une myriade de sentiments qui distraient nos esprits et épuisent ce qui reste de nous.

Malgré tout ce qui précède, nous travaillons quotidiennement pour partir, car c'est notre seul salut, et notre seule façon de quitter cette fosse commune. Ma situation ressemble à celle de la jeunesse syrienne, car je suis quotidiennement assailli de questions sur l’immigration, partout, tous les jours, dans les groupes Facebook, à travers des amis à l'étranger, ou même auprès des agences de voyage, que je sais ont l'intention de me briser les os en jouant sur le rêve de l’exil, en nous vendant des illusions et de fausses promesses. Il n'y a malheureusement pas d’autres solution, car l’exil est notre seule option pour pouvoir vivre nos vies comme les autres.

La migration comme seul horizon

Je ne peux toutefois pas parler d'émigration sans en éclairer les bons côtés, cela me fait plaisir de savoir qu'un ami est déjà parti, a déjà survécu, et qu'il doit maintenant se concentrer sur ce qu'il aime vraiment et ce dont il rêve. L’histoire inscrit tous les jours des Syriens et des Syriennes qui ont réussit à dépasser ce que j’ai décrit précédemment, et qui ont réussi à réaliser leurs objectifs. Je ne peux pas dire que le résultat le plus important de l'émigration des jeunes hommes et femmes à l'étranger est la création d'un espace de solidarité que les pays qui nous ont expulsés ne peuvent contenir, et que les frontières ne peuvent délimiter, car nous avons trouvé de nombreuses façons de contourner la situation économique qui menace nos vies au quotidien. Alors, des associations ont été créées, dirigées par des groupes de Syriens qui collectent des dons chaque semaine et les envoient ensuite chez eux. Avec cet acte, nos amis nous sortent du cycle de la faim et de la peur, en plus de nous fournir toutes sortes de soutien psychologique et moral dont nous avons besoin, nous qui ressentons une grande aliénation dans notre propre pays, la Syrie. Nos compatriotes syriens à l’étranger ont compris à quoi nous aspirions, et ont compris que l’unique solution pour nous, bien que temporaire, était de partir.

Ils ont alors travaillé à la création de pages Facebook qui répondaient à nos questions sur l’immigration, et fournissaient toutes les aides possibles qui pourraient sauver l'un d'entre nous, comme celles relatives aux procédures de regroupement familial qui permettent aux Syriens de faire venir leur famille, ou des procédures de parrainage à travers lesquelles certaines personnes parrainent quelqu'un qui vient de quitter la Syrie. Je crois réellement que cette solidarité issue de l'immigration est irremplaçable, et qu’elle est une chose sur laquelle nous pourrons construire, à l'avenir, les fondements et les valeurs de notre révolution.

Aujourd'hui, alors que nous sommes répartis dans toutes les régions du monde, j'entends la chanson de Rasha Rizk, qui dit "Vos voix remplissent le foyer... rires, discussions et dialogues" et je me rappelle de notre passé ensemble et de nos souvenirs que nous avons peints à travers tous les recoins de la ville, et je dis que chaque moment où nous étions ensemble me manque, et c'est ce qui fait que je crois que l’immigration est en plus d’être une option pour la survie individuelle, elle est notre salut et nous permet de lutter pour nos rêves, pour la liberté et la dignité et pour le peuple syrien.

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