Iconographie du corps
Nudité et proximité
Les corps dénudés sont devenus un spectacle plus ou moins banal, y compris sur scène. Mais au-delà des questions de police des mœurs et des accusations de pornographie, que peut bien signifier un corps nu ? La danse contemporaine s’est intéressée à ce thème et offre des exemples de réflexion sur le corps dénudé et ses effets.
Dans ce que nous appelons l’espace culturel occidental, le corps idéal est naturellement normatif. Les représentations prétendument omniprésentes de corps nus dans la publicité, l’art et les médias ne constituent donc bien souvent qu’une vision fictive de la nudité. Les morphologies qui existent réellement dans la vie – les gros, les trapus, les maigrelets, les vieux – restent taboues. Il en va de même dans le domaine de la danse. La vaste majorité des spectacles sont assurés par des interprètes jeunes, à la silhouette sculpturale. Pourtant, les gens veulent désormais autre chose. La nudité n’étant aujourd’hui plus automatiquement perçue comme scandaleuse, il s’agit désormais de savoir ce qu’un corps dénudé montre réellement. Car, même s’il est devenu banal, le nu ne va pas encore de soi.
La fonction de la nudité
La chorégraphe et danseuse Mette Ingvartsen a créé récemment plusieurs spectacles qui explorent la fonction sociale et esthétique de la nudité. Dans sa pièce de groupe 7 Pleasures, douze danseuses et danseurs sortent du public, se déshabillent et montent sur scène pour y suivre un parcours figuratif, tantôt extatique et tantôt méditatif, mais toujours collectif. Le corps individuel se fond dans la sculpture mouvante de l’ensemble, avant de jouer un solo, puis de disparaître à nouveau dans la masse. Pourtant, 7 Pleasures n’aborde pas la nudité en tant que mise à nu de l’intimité. Le corps dénudé joue davantage le rôle d’un masque, d’un déguisement subtil cachant ce qui le compose : un mélange entre désir, individualité et interactions sociales. Il n’y a rien de pornographique dans ce tableau singulièrement expérimental. Les corps des interprètes sont entièrement au service de leurs gestes ; loin d’être aguichante, leur nudité évoque plutôt une forme d’abandon de soi. C’est là que réside toute la différence avec la pornographie. La crainte séculaire de la nudité n’est probablement au fond que la crainte de la pornographie, c’est-à-dire du dépouillement de l’expérience du désir présenté comme un objet d’exposition. Aujourd’hui, l’apparition du corps nu ou revêtu d’une couche civilisatrice fait plus que jamais débat – il suffit de penser aux discussions sur le port du voile intégral, du voile ou de la barbe.
La nudité passe
Ingvartsen aborde le rapport entre la pornographie et la nudité dans la danse dans sa performance de lecture en solo intitulée 69 Positions (2014). Face aux reproductions de plusieurs illustrations du roman sulfureux de Sade Justine ou les Malheurs de la vertu, on comprend immédiatement comment l’imagination s’approprie progressivement le corps comme instrument de désir. Ingvartsen range cette réification précoce dans l’histoire des performances du XXe siècle, qui a mené un courageux combat contre l’interdiction de la nudité, avec le Living Theater, le dramaturge américain Richard Foreman, ou encore l’artiste Carolee Schneeman, également d’origine américaine.
Mais avec quels résultats ? Quand l’exposition de la nudité s’oppose, au nom de l’art, à la récupération pornographique, la question des interprétations alternatives reste ouverte. En 1964, la performance Meat Joy de Schneeman abordait à la fois les thèmes de la guerre du Vietnam, des droits des femmes et du puritanisme. L’artiste n’a pourtant pas voulu approuver une reprise de cette action initiée par Ingvartsen, en mentionnant notamment l’âge des participants de l’époque – ce qui nous ramènerait aux normes. Or c’est justement cela qui est édifiant : le corps ne se ressemble jamais. Que ce soit dans le désir, dans la représentation ou dans le vieillissement, la nudité n'est toujours qu’éphémère, parfois trompeuse, mais toujours fragile. Elle ne suffit peut-être pas comme arme, peu importe pour quel camp.
Such stuff as we are made of (2000), de Lia Rodrigues, est une des premières œuvres de cette chorégraphe brésilienne qui appréhende son travail artistique dans son principe comme de l’activisme. À l’époque, les danseurs nus livraient leur performance au milieu du public, qui était obligé de se confronter en permanence au sentiment de honte. Quelle distance respecter ? Où poser le regard ? Que regarder ? La production Pindorama, créée par Rodrigues en 2013, exploite également le thème de la nudité et de la proximité. Les corps dénudés s’érigent en métaphore de la capacité de transformation et incarnent le corps en tant que manifestation spatiale, qui peut être vue et interprétée de diverses façons.
La nudité par hasard