Mirath:Music – Rehab Hazgui   Tautology (Generative Landscape/Paysage génératif)

Représentation en noir et blanc d’un paysage urbain avec des tours et des bâtiments, superposée de lignes verticales et de motifs de points. Le mot « TAUTOLOGY » est visible en bas de l’image.
Couverture « Tautology (Generative Landscape) » de Rehab Hazgui © Rehab Hazgui

Tautology (Generative Landscape) from Rehab Hazgui © Rehab Hazgui « Tautology » a été conçue comme une recherche sonore cherchant à établir un lien entre deux aspects de la culture tunisienne : les traditions religieuses islamiques et la musique. L'artiste y présente différentes performances vocales de l'adhan (l’appel à la prière) afin d’illustrer certaines de ses spécificités, exclusives au territoire de la Tunisie contemporaine. La démarche de Hazgui consiste à utiliser le son de l'adhan dans une tentative consciente de présenter l'héritage islamique comme un phénomène culturel.

Partant de cette approche personnelle, Rehab Hazgui insère dans son œuvre ses propres enregistrements d'appels à la prière, recueillis sur le terrain au cours des deux dernières années, à divers endroits en Tunisie. Considéré comme l'une des manifestations musicales les plus significatives de la culture islamique, l'adhan convoque les fidèles à la mosquée et annonce la structuration des prières, cinq fois par jour. Ce rituel se compose d’un ensemble de phrases répétées selon un schéma quotidien précis (Iqamaah), à un moment bien défini de la journée. Les paroles de l'appel à la prière adoptent une méthode fixe d’énonciation des phrases, et un séquençage spécial, entrecoupé par des respirations. Si le séquencement reste toujours identique, la mélodie, elle, diffère. Chaque pays ou région a ses propres variations, mineures, quant à la fluidité de l’énonciation.


Dans ce morceau, l'artiste capte les nuances sonores des différentes méthodes de récitation, créant ainsi une sensation sonore qui reflète la diversité géographique de la Tunisie. Hazgui utilise les voyelles longues dans les derniers mots de la plupart des phrases et y adjoint des sons synthétisés issus d’échantillons auditifs, créant ainsi des atmosphères sonores particulières. Les sons ambiants, comme les klaxons de voitures et les bruits de la rue, se mêlent aux structures (in)harmoniques, uniques en leur genre, créant ainsi des boucles (poly)rythmiques et des tons qui s'étendent et se réverbèrent au-delà de l'espace.

« Notre monde contemporain axé sur la mobilité a apporté la preuve que les relations entre le son et l'espace sont, et ont toujours été, culturelles, et sont constamment reconfigurées, aussi bien sur le plan historique que social. Avec "Tautology", j'invite l’auditeur à remettre en question l'idée selon laquelle les sons sont "naturellement" liés à certains lieux et contextes, car de nombreux sons ont trouvé leur place dans de nouveaux contextes. »

En concevant ce morceau, Hazgui avait en tête de le rendre interactif : en utilisant comme support un synthétiseur modulaire virtuel VCV Rack, le public était censé pouvoir y ajouter ses propres enregistrements. Malheureusement, en raison de difficultés techniques, ce dispositif n'a pas pu être mis en place dans le cadre de cette exposition.


Durée : 5’22
Productrice : Rehab Hazgui
Compositeur :
Enregistrements sur le terrain : Rehab Hazgui
Instruments : synthétiseurs
Date de la composition originale :
Dates des enregistrements sur le terrain : 2019 - 2021
Enregistrement : août 2021
Paroles : Nc

Ce qui motive mon travail

Heritage (Le patrimoine), un concept chargé, à mon sens, de connotations négatives, en raison du statut quasi mythique du terme, s’inscrit au cœur de cette exploration musicale. Se référant aux traditions, aux racines et au folklore, ce terme a en effet une acception large et malléable. N'importe qui peut revendiquer un patrimoine qui lui est propre, et le « patrimoine musical » de l’un peut être la « chanson populaire » ou de « variété » de l’autre.

J’ai adopté, dans le cadre de ce projet, une approche personnelle, qui consiste à explorer le champ sémantique de ce terme à travers la musique, partant de ma croyance personnelle que le patrimoine de l'individu diffère de celui du groupe. L'expérience personnelle peut être tout aussi valable que celle collective, dans la mesure où elle est vécue à travers des souvenirs familiaux, un espace, un lieu, des pratiques... Elle s’exprime à travers la production musicale, l'instrumentation, les techniques d'interprétation et des concepts plus profonds, axés sur le son. Toutes ces facettes impliquent des interactions et du vécu. Ainsi, pour moi, le patrimoine est ce que l'on fait, et il est en évolution perpétuelle.

Dans certains pays, le patrimoine musical « authentique » est perçu comme étant menacé, en raison des fluctuations permanentes qu'il subit. Ainsi, ce que l’on appelle « authenticité » d'une œuvre acquiert un aspect fétichisé, alors que le sens principal du terme est d'être fidèle à l'idée de soi dans le cadre de la culture.  Le patrimoine se construit à partir des interactions entre le soi, un lieu, un moment, des expériences et des personnes données. Le son permet de capter et de communiquer cette interaction complexe. Il aide à mettre en avant les subtilités, les caractéristiques uniques découlant de la convergence de ces facteurs et éléments divers, nous positionnant, nous, artistes sonores, dans un continuum culturel et sonore plus large.

Mon approche pour ce projet se fonde sur la fluidité et l'ouverture à la nature fluctuante des sons, du patrimoine et du rôle de l'individu au sein du groupe. Les deux morceaux que j’ai composés s'appuient sur le patrimoine vocal tunisien, car la musique vocale a cette capacité d’être à la fois le porte-voix de la culture à laquelle elle appartient que celui de l'individu qui la chante.