Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) recèle dans sa collection un trésor extraordinaire. Il s'agit d'un portrait de Hugo Simons (1892-1958), avocat et ami du peintre Otto Dix, que l'artiste peignit en Allemagne en 1925. Pour l'observateur, la triple valeur de cette œuvre réside d'une part dans la technique picturale inhabituelle que Dix utilisa pour ce portrait et, d'autre part et surtout, dans sa genèse et son odyssée durant les années de guerre. Cette odyssée le conduisit à l'extérieur de l'Allemagne nazie, à travers la Hollande, jusqu'à Montréal.
Otto Dix (1891-1969) est sans contredit l'un des plus importants peintres modernes allemands. Il a pris une place prépondérante sur la scène artistique internationale avant et après la Première guerre mondiale. Son œuvre comprend plus de 600 toiles, dessins expressionnistes, peintures à l'huile et à la gouache. Il obtint une notoriété mondiale grâce à ses tableaux dans le style de la Nouvelle Objectivité des années 1920 de la République de Weimar. Grand admirateur des peintres nord-européens de la Renaissance du 16e siècle, tels Albrecht Dürer, Hans Baldung Grien ou Hans Holbein, Dix étudia plus particulièrement les thèmes et les techniques picturales de ces grands maîtres.
Dix fit ce portrait de Hugo Simons en 1925 en signe de gratitude envers cet avocat qui l'avait représenté avec succès au cours d'un procès. Quelque temps auparavant Dix avait en effet reçu une commande d'un client lui demandant de faire le portrait de sa fille. Une fois le portrait terminé, le client refusa de payer Dix sous prétexte qu'il n'était en aucun cas semblable à sa fille. La conclusion heureuse de ce litige n'était pas seulement une étape importante pour la reconnaissance de la liberté artistique mais aussi le début d'une amitié épistolaire entre le peintre et son modèle, l'avocat, qui devait durer toute leur vie, et ce malgré les restrictions dramatiques, le chaos et les malheurs occasionnés par la Deuxième Guerre mondiale.
À cette époque, Dix est harcelé par les Nazis et interdit d'enseignement et d'exposition en Allemagne. Sans travail et dans la plus grande pauvreté, il vit la guerre et le début de l'après-guerre dans un petit village perdu de la région du lac de Constance près de la frontière suisse, dans la tour d'ivoire de l'émigration intérieure, comme l'écrivit son biographe Fritz Löffler. De son côté, Hugo Simons quitte l'Allemagne pour s'envoler avec sa famille et ses biens pour La Hague en Hollande. Là-bas, apatride et sans permis de travail, il s'emploie avec succès au côté de sa femme à faire passer des Juifs allemands en Hollande jusqu'en 1939. Après de nombreuses difficultés, le couple s'embarque ensuite avec leurs trois enfants pour le Canada afin d'éviter une mort certaine. La famille s'installe à Montréal où Hugo Simons occuppa plusieurs emplois jusqu'à sa mort survenue en 1958.