Gagner sa vie comme bédéiste
La mosaïque d’une industrie
Les bandes dessinées jouissent actuellement d’une grande reconnaissance dans le monde de l’art et sont considérées comme l’un des rares secteurs de croissance dans le marché du livre. Pour ceux et celles qui conçoivent des bandes dessinées, toutefois, l’entreprise est rarement intéressante d’un point de vue économique. Le travail lui-même est complexe et prend beaucoup de temps, et les chiffres de vente n’atteignent souvent que les trois ou quatre chiffres, surtout dans le cas de bandes dessinées d’auteurs plus sophistiquées et plus longues. La marge bénéficiaire restante pour les auteurs et les artistes est souvent mince.
« Je gagne un peu d’argent en faisant des bandes dessinées, mais jamais assez pour soutenir deux enfants et une hypothèque sur une maison », déclare Michel Cho. L’auteur et l’illustrateur habite à Toronto et ses bandes dessinées de superhéros, ses couvertures et son roman graphique Shoplifter lui ont valu une réputation internationale. Malgré tout, « j’ai toujours dû compléter mon revenu en faisant des illustrations éditoriales ou pour des entreprises ».
Joe Ollmann, dont le roman graphique The Abominable M. Seabrock a récemment été publié chez les éditeurs renommés Drawn & Quarterly, abonde dans le même sens. « La majorité des bédéistes au Canada ont un emploi à temps partiel ou sont travailleurs autonomes », explique l’auteur et l’illustrateur de Hamilton, en Ontario. Il connaît notamment de nombreux artistes qui réalisent des scénarimages pour le cinéma. « Je dirais que peut-être seulement 15 pour cent des bédéistes canadiens vivent strictement de la bande dessinée », ajoute Ollmann.
La raison pour laquelle Joe Ollmann a pu se consacrer principalement à l’écriture de son roman graphique au cours des cinq dernières années sans avoir à compter sur le revenu d’un emploi à temps plein est indirectement liée à ses bandes dessinées : la vente de droits cinématographiques pour l’une de ses œuvres lui a donné les moyens de gagner sa vie pendant quelques années.
En conséquence, des plates-formes de financement communautaire comme Patreon sont devenues une source majeure de revenu supplémentaire pour les artistes. Un exemple est l’artiste germano-japonaise Mikiko Ponczeck, qui a remporté un prix Max-and-Moritz, le prix de la bande dessinée allemande le plus prestigieux, pour son manga Crash'n'Burn au Salon international de la bande dessinée 2016 à Erlangen. Elle compte actuellement près de 150 partisans qui lui paient des petites sommes mensuelles via Patreon totalisant 740 dollars par mois. En retour, les partisans ont accès à des bandes dessinées et des tutoriels exclusifs. Les contributeurs majeurs sont même récompensés par des dessins originaux.
Flix, un artiste dont les livres et les séries illustrées lui ont valu plusieurs prix Max-et-Moritz, utilise également Internet, moins pour gagner de l’argent, mais plus pour entrer en contact avec ses lecteurs. Il publie des bandes dessinées en ligne sur sa vie familiale et gère un magasin sur son site qui propose des articles Flix exclusifs tels que des t-shirts, des tasses ou des planchettes pour le petit-déjeuner. Malgré tout, l’argent qu’il gagne couvre à peine les coûts. « C’est un beau passe-temps, rien de plus », dit-il.
« Mon grand-père était un petit agriculteur qui plantait différentes semences en même temps, sans savoir lesquelles porteraient leurs fruits », explique Flix. « C’est essentiellement la façon dont je fonctionne. » Malgré sa popularité, son succès commercial est difficile à prédire : certains de ses livres, dont la série Heldentage parue pour la première fois sur son site Internet, ne se sont vendus qu’à quelques centaines exemplaires. D’autres, comme son adaptation de Don Quichotte, se sont vendus à plus de 40 000 exemplaires – un nombre non négligeable en matière de bandes dessinées d’auteurs en Allemagne.
Certains bédéistes acceptent le fait qu’il n’est pas toujours facile de vivre de son art. L’artiste berlinois Olaf Schwarzbach, connu sous « OL », a capturé cette réalité dans un dessin humoristique. Un passant demande à un artiste de rue s’il peut vivre son travail. Sa réponse : « Bien sûr que non. Je suis mort depuis trois ans. »