Groupe du mois
Östro 430

En 1979, à Düsseldorf, quatre jeunes femmes bourrées d’énergie et de fougue fondent l’un des premiers groupes de punk féminins allemands. Armées d’un saxophone, d’un clavier électronique, d’une basse et d’une batterie, elles apportent un vent de fraîcheur et un grondement contestataire au paysage musical allemand des années 80. Les quatre étudiantes se séparent en 1984. Mais trente-cinq ans plus tard, le groupe est de retour. En septembre 2023, à l’occasion de la sortie de leur nouvel album Punkrock nach Hausfrauenart (« Punkrock à la sauce ménagère »), nous vous proposons de vous laisser surprendre avec notre groupe du mois : Östro 430.

De Marguerite Comoy

Décollage : Düsseldorf, 1979

Tout commence à Düsseldorf, en 1979. Quatre étudiantes, Martina Weith, Bettina Flörchinger, Marita Welling et Monika Kellermann, que remplace bientôt Olivia Casali, fondent un groupe de punk : Östro 430. Östro, c’est évidemment pour œstrogène, parce qu’elles sont toutes des femmes dans ce groupe (du moins dans un premier temps), ce qui n’est clairement pas une évidence dans ce monde du punk alors extrêmement masculin. Elles surprennent, par ailleurs, en décidant de se passer de guitare électrique (pourquoi pas ?), lui préférant saxophone, clavier électronique, basse et batterie.
C’est à Okie Dokie qu’elles se produisent pour la première fois, un festival de punk organisé par le fanzine Schmier à Neuss (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Au milieu de groupes tels que KFC, EA80, die Clox, VD et ZK, Östro 430 se fait remarquer, notamment par le groupe des Fehlfarben (que l'on peut peut traduire par "fausse couleur") qui les embarque dans leur prochaine tournée en Allemagne. Très vite, le groupe se fait connaître par-delà le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans la scène punk ouest-allemande : on parle même d’elles dans Bravo, le magazine pour jeunes de la RFA.  
En 1980, Östro 430 sort trois premières chansons chez Schallmauer, une maison de disque locale : Sexueller Notstand (Urgence sexuelle), Triebtäter (agresseur sexuel) et Too Cool (Trop Cool).
Sexueller Notstand (Urgence sexuelle), leur chanson la plus connue, est un pied de nez aux rôles de genre. Martina Weith s’y lamente sur sa frustration sexuelle, incarnant une femme au désir assumé, insatiable et acéré :

Sexueller Notstand : paroles

Urgence sexuelle
Il ne te reste plus que ta main
Attrape quelques photos porno
Et accroche-les au mur

Avec les mecs y’a plus rien à faire
C’est toujours le même supplice
Ils baisent comme des lapins
Et s’endorment après l’orgasme

Urgence sexuelle
Il ne te reste plus que ta main
Attrape quelques photos porno
Et accroche-les au mur

Avec les meufs c’est pas plus facile
La douceur c’est pas mon truc
Attention, que j’m’endorme pas
Où donc trouver quelqu’un aussi excité que moi ?

Urgence sexuelle
Il ne te reste plus que ta main
Attrape quelques photos porno
Et accroche-les au mur

Les musiciennes ne mâchent pas leurs mots : elles assument une rugosité agressive. Il faut dire qu’il leur arrive de voir leurs concerts émaillés de railleries et de grossiers « À poil, à poil ! », auxquels Martina réplique du tac au tac : « Si tu veux ! Mais toi montre d’abord ce que t’as dans le ventre ».

Fortes de leur succès, Östro 430 sort en 1981 un premier EP chez Schallmauer-Records, Dick und dünn (Par monts et par vaux), avec huit chansons : Das Quietschende Bett (Le lit qui grince), Sechzehn (Seize), Sexueller Notstand (Urgence sexuelle), Plastikwelt (Monde en plastique), S-Bahn (RER), Ich halt mich raus (Je ne m’en mèle pas), Idi Otto, Zu cool (Trop cool).

Après ce premier EP, Marita Welling et Olivia Casali quittent le groupe, Gisela Hottenroth et Birgit Köster les remplacent. Avec ce nouveau quatuor, Östro 430 sort en 1982 le single Vampir / Meerschweinchen (Vampire / Cochon d'Inde) (single, Schallmauer-Records) et en 1983 un premier album digne de ce nom, un vinyle intitulé Weiber wie wir (Des bonnes femmes comme nous), encore chez Schallmauer-Records, lequel fait malheureusement faillite en 1983. Weiber wie wir comporte les derniers sons d’Östro 430, les derniers jusqu’à 2023…

La Neue Deutsche Welle en arrière-fond

Il faut avoir en tête que pendant ces quelques années, la Neue Deutsche Welle (Nouvelle vague allemande) est à son apogée. Ce genre musical, qui mélange punk et new wave sur des textes en allemand, connaît alors ses plus grands succès commerciaux. Parmi les titres et les artistes qui sont associé·e·s au courant de la Neue Deutsche Welle, l’on peut citer Der Kommissar (Le Commissaire) de Falco (1981, retrouvez notre article sur le chanteur autrichien), Da Da Da de Trio (1982), Major Tom (Völlig losgelöst) (Major Tom  - Complètement détaché) de Peter Schilling (1982), ou encore 99 Luftballons (99 ballons) de Nena (1983). L’on peut débattre sur la cohérence de ce genre musical, dont l’ADN s’effrite rapidement. Est-ce seulement un concept fourre-tout, une étiquette de marketing ? Ce qui est sûr, c’est que la notion est critiquée. Östro 430 fait partie des groupes qui se méfient et se moquent de l’étiquette NDW. Ironiquement, Östro 430 et la Neue Deutsche Welle se dissolvent presque en même temps, autour de 1984.

Après cette date, certaines des artistes continuent leur carrière (musicale) de leur côté. Martina Weith chante entre autres pour certains albums de Die Ärzte, Bettina Flörchinger, quant à elle, devient gynécologue. Olivia Casali joue un moment pour Fehlfarben.

Retour vers le futur : Östro 430 de nouveau sur scène

Au même titre que les hits de la Neue Deutsche Welle connaissent un regain d’intérêt à l’aube du XXIème siècle, Östro 430 est de retour en 2019 : un peu avant que le Covid s’apprête à frapper, la chanteuse et saxophoniste Martina Weith et la pianiste (électronique) Bettina Flörchinger décident de publier une compilation de leurs œuvres. Le groupe se recompose avec la bassiste Anja Peterssen et la batteuse Sandy Black, mais la pandémie les empêche de remonter tout de suite sur scène. Ironie de l’histoire : la compil parait sous le titre Keine Krise kann mich schocken (Aucune crise ne peut me choquer), d’après un autre de leurs célèbres morceaux dans lequel elles se moquent de l’arrogance outrancière d’une fille à papa :

Keine Krise kann mich schocken : paroles

Aucune crise ne peut me choquer
Je porte que des vêtements de marque
De la soie pure pour chaque chemise
Et j’vais à l‘université avec l’argent de Papa
Pour faire du Management

Aucune crise ne peut me choquer
Je viens d’une riche famille
Et tous ceux, qui s’échinent au travail,
Je me fais un plaisir d’en rire

Si jamais je fais du lard
Je m’allonge chez le docteur
Il me découpe quelques millimètres
Et revoilà ma taille de guêpe

Aucune crise ne peut me choquer
Je viens d’une riche famille
Et tous ceux, qui s’échinent au travail,
Je me fais un plaisir d’en rire

Au printemps j’me balade en Lamborghini,
J’ai une GTI quand ça se rafraichit
En été je vais aux Caraïbes
En hiver à Arosa

Aucune crise ne peut me choquer
Je viens d’une riche famille
Et tous ceux, qui s’échinent au travail,
Je me fais un plaisir d’en rire

Sinon je suis souvent à Formentera
Là y’a toute la clique
On traîne dans la villa de Papa
Et on sniffe un tas de cocaïne

Aucune crise ne peut me choquer
Je viens d’une riche famille
Et tous ceux, qui s’échinent au travail,
Je me fais un plaisir d’en rire
 
Aucune crise ne peut me choquer
Je viens d’une riche famille
Et tous ceux, qui s’échinent au travail,
Je me fais un plaisir d’en rire
 
En 2020, elles parodient leur texte original pour l’adapter au contexte morose de la pandémie : rien ne les choque, elles sont de retour, et elles n’ont pas fini de jouer.
Et en 2023, elles sortent un nouvel album : Punkrock nach Hausfrauenart (« Punkrock à la sauce ménagère ») que nous vous recommandons chaudement !