Raccourcis:

Aller directement au contenu (Alt 1) Aller directement à la navigation principale (Alt 2)

Entretien avec Michael Adler
Je veux une ville différente - pas seulement une meilleure piste cyclable

Santa en entretien avec Michael Adler de "tippingpoints" sur la mobilité durable. #Mobilité #GoetheFSEcoChallenge
Santa en entretien avec Michael Adler de "tippingpoints" sur la mobilité durable. #Mobilité #GoetheFSEcoChallenge | Photo : Santa Meyer-Nandi

Ce que j’aime le plus dans mon travail ? Discuter avec des experts et les assaillir de mes questions personnelles. J’ai l’immense honneur de vous présenter aujourd’hui, dans le cadre de notre #GoetheFSEcoChallenge sur le thème de la mobilité, une interview avec le directeur de l’agence tippingpoints, Michel Adler, auteur du livre « Génération (des) véhicules de location : désir d’une autre mobilité ».

De Santa Meyer-Nandi

J’aimerais mentionner trois aspects au sujet de Michael Adler et sur ce qui l’a amené à se consacrer de façon aussi dévouée au thème de la mobilité.

  1. Michael Adler a grandi dans un village situé dans le Bade-Wurtemberg.
  2. Il est issu de la génération baby-boom, en d’autres termes : « enfant, je jouais avec des petites voitures Matchbox en criant vroum vroum à tout va, j’ai passé mon permis à 18 ans, après quoi je n’ai plus rien fait d’autre que de sortir du village, et cela toujours en voiture. Les voitures étaient un symbole de liberté et d’aventure. »
  3. C’est vers l’âge de 20 ans que Michael entame son processus de resocialisation. La mort des forêts et le sommet de Rio en 1992 constituent ainsi des « tippingpoints », moments charnière de sa biographie. Après avoir été pendant 22 ans le rédacteur en chef du magazine fairkehr, magazine du groupe VCD promouvant une mobilité sociale et durable, il fonde en 2012 sa propre agence, tippingpoints. Car Michael Adler est convaincu qu’ « on ne fera pas un monde meilleur sans une communication digne de ce nom. Il ne s’agit pas seulement de mobilité, mais du mode de vie auquel nous nous sommes accoutumés, particulièrement destructeur, qui ruine non seulement le climat, mais aussi l’air que l’on respire, nos espaces de vie et notre liberté. Notre culture étant toutefois en grande partie fondée sur les émotions, le sentiment de confort et la routine, il est possible de se servir de la communication pour la remanier. C’est ce à quoi nous travaillons chez tippingpoints. »Je tiens dès à présent à dire un grand MERCI à Michael qui a pris beaucoup de son temps pour nous répondre. Et maintenant, avant que vous perdiez patience, il est temps d’en venir aux questions.
Cher Michael, si une fée de la mobilité venait réaliser tous tes rêves, à quoi ressemblerait pour toi la mobilité, qu’elle soit urbaine ou rurale, et quels seraient les voyages idéals ?

Voici le programme de la fée mobilité par le menu : On prendrait le vélo comme aux Pays-Bas, le tram et le bus comme en Suisse, on n’utiliserait plus que 10 pour cent des voitures d’aujourd’hui, des voitures électriques et autonomes qui seraient à même de compenser les lacunes des réseaux cyclables et de transports en commun. L’espace public serait plus vert, moins chaud, moins bruyant et plus respectueux de l’homme. On se retrouverait à nouveau sur la place du village, qui, pour cause, ne serait plus utilisée comme parking. Dans un village, le fonctionnement est le même que dans une métropole. Il serait très simple de voyager en Europe grâce à un réseau ferroviaire international, à des liaisons rapides en journée et de confortables trains de nuit reliant Paris à Berlin, Copenhague à Milan, Amsterdam à Vienne et Cologne à Barcelone. Il ne nous manque plus qu’un peu de poussière de fée pour permettre une e-mobilité avec 100 pour cent d’électricité renouvelable, avec des batteries qui n’utiliseraient pratiquement plus de matières premières rares. Les trains, les camions, les bus ainsi que les avions fonctionneraient grâce à l’hydrogène ou aux piles à combustible issus de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne ou de tout autre source d’énergie artificielle.

Initiative populaire pour un nouveau départ à vélo Initiative populaire pour un nouveau départ à vélo | Photo : Michael Adler
Entrons un peu plus dans le détail : dans ce monde idéal, les voitures auraient presque disparu de notre quotidien. Avec seulement 10 pour cent des véhicules utilisés, nous n’en serions pas moins tout aussi mobiles qu’à l’heure actuelle. Nous effectuerions nos trajets deux fois plus souvent à pied ou en vélo et prendrions deux fois plus le bus ou le train, sans toutefois renoncer au confort. Nous ne posséderions plus de voitures mais nous contenterions d’en louer. Intéressons-nous d’abord au fait rural. Tout comme c’est le cas en Suisse, les transports en commun assureraient dans les zones rurales un trafic régulier toutes les heures. Des petits bus électriques iraient jusqu’aux coins les plus reculés, tandis que le transport par rail aurait été instauré jusque dans les villes de moyenne et de moindre importance dans les zones rurales. Les piles fonctionneraient grâce à des matériaux issus de l’eau de mer, comme cela vient d’être communiqué par IBM. Il n’y aurait plus besoin d’extraire des métaux lourds ou du lithium en Bolivie, en Afrique centrale ou en Chine. Nous disposerions d’un réseau cyclable au top niveau, en partie couvert et pourvu de lampes LED à détection de mouvement. Les arrêts de transports en commun seraient de véritables stations de mobilité où on pourrait garer en toute sécurité son vélo, qu’il s’agisse d’un véhicule d’emprunt ou de son vélo personnel. On pourrait également y louer de petites voitures électriques, elles aussi autonomes. Après m’avoir conduit dans mon village, celles-ci rejoindraient automatiquement le prochain passager ou la prochaine station de mobilité. Les cœurs des villages seraient de nouveau animés. Il n’y aurait pas de difficulté à se pourvoir du nécessaire quotidien sans utiliser de voiture personnelle. Le réseau de proximité serait parfaitement relié au réseau de transport longue distance. Ce dernier d’ailleurs, qui ne fonctionnerait plus qu’à une vitesse limite de 200 km/h, serait optimisé pour garantir la ponctualité et assurer les correspondances. C’est grâce au réseau de transports longue distance que l’on se rendrait en ville. Les villes seraient à 95 pour cent sans voitures. La place ainsi libérée serait plus verte et configurée pour les besoins des piétons et des cyclistes. Les enfants se déplaceraient en toute autonomie à vélo ou à pied, de même pour les personnes âgées. L’argent qu’il fallait jusqu’à présent consacrer aux infrastructures automobiles et aux conséquences négatives du trafic qui en découlent serait dès lors destiné à l’aménagement des espaces publics. L’espace des rues, lui, est complètement restructuré. Depuis le devant des maisons, voilà ce que l’on observerait : il y aurait d’abord les piétons, puis le trafic cycliste avec une place consacrée aux vélos de transport et aux modèles électriques à toit couvrant, ce à quoi s’ajoutent les transports en commun et enfin, là où il y resterait de la place, une voie laissée pour le transport en voiture, mode de transport qui serait néanmoins confondu, dans les villes et les villages, avec le réseau public de transports en commun. La ville redevient un lieu de rencontre pour les gens. Tous les véhicules motorisés seront alimentés par de l'électricité renouvelable.
 
Qu’est-ce qui, selon toi, fait qu’une mobilité est durable ?

Chaque enfant a besoin d'un vélo Chaque enfant a besoin d'un vélo | Photo : Michael Adler
Trois fois rien, ou plutôt trois fois zéro : zéro CO2, zéro pollution de l’air et pollution sonore, zéro morts et blessés. Il faudrait aussi que nous pensions la mobilité selon une logique circulaire fermée de ressources et d’énergie. Une mobilité circulaire, si on veut. Ainsi, une voiture privée de deux tonnes est tout le contraire de durable. Garée 23 heures dans une journée, elle consomme de l’énergie fossile dont l’extraction a lieu dans des conditions sociales injustes, sans parler du fait que l’extraction à elle seule est nocive à l’environnement. Tout ça pour permettre à un homme de 75 kilo de se déplacer dans un véhicule bruyant, avec un siège chauffant de préférence, et dont les gaz d’échappement nuisibles suscitent un effet de serre bien trop important.

Au sujet des voitures durables : parmi les modèles disponibles, qu’il s’agisse de véhicules électriques, à hydrogène ou à énergie solaire, quels sont ceux que tu estimes les plus prometteurs ?
 

À ce jour, les voitures à énergie solaire n’existent pas, et elles ne sont pas prêtes de voir le jour, tout du moins pas dans un futur proche. Il existe néanmoins un abri solaire en Europe centrale capable de récolter assez d’énergie pour pouvoir rouler 25 à 30 kilomètres en voiture. De là à savoir si ce mode d’utilisation d’électricité renouvelable est le plus efficace, c’est bien là l’objet du débat.
 
Je possède encore à l’heure actuelle une vieille hybride Toyota de dix ans et réfléchis à l’échanger contre un modèle de voiture électrique eGo, petite entreprise automobile d’Aix-la-Chapelle. L’eGo est un exemple en ceci qu’elle montre à quel point l’e-mobilité, aujourd’hui, est véhicule de sens. Tout cela avec un petit véhicule léger d’une autonomie de 100 à 180 kilomètres. Pourtant, ce véhicule à énergie électrique ne peut représenter un progrès que s’il est alimenté à 100 pour cent par de l’électricité renouvelable. Le mieux serait encore de supprimer complètement l’usage d’un véhicule privé au sein d’un foyer. À cet effet, il faudrait que l’on dispose, à Bonn, d’un système permettant d’effectuer la moitié du trajet en covoiturage et l’autre moitié en transports en commun, ce qui n’est le cas pour aucune des deux solutions à ma connaissance.
 
Tandis que Volkswagen, sans avoir renoncé au diesel, mise à présent sur les voitures à moteur électrique, Toyota, son plus grand concurrent, fabrique désormais des voitures à énergie hydrogène et à piles combustibles. L’avantage : l’énergie hydrogène permet de faire le plein rapidement et de couvrir une grande distance. L’inconvénient : c’est à partir d’électricité renouvelable constituée d’H2O, c’est-à-dire d’eau, que l’on extrait l’énergie hydrogène, après quoi on se sert de cette même énergie hydrogène pour produire de l’électricité à l’aide d’une pile à combustible actionnant le moteur. Une double transformation d’énergie revient à une double perte d’énergie. Selon le Öko-Institut e.V., le degré d’efficacité est de 25 pour cent et de 70 pour cent pour le moteur électrique. C’est sans parler du fait qu’il existe encore moins de stations de ravitaillement en hydrogène que de bornes de rechargement pour voitures électriques.
 
Dans mon travail, je constate beaucoup de rapprochements entre qualité de vie et durabilité. Selon toi, existe-il un lien entre le déplacement durable et le bien-être et la santé des individus ? Quels sont les bénéfices de la mobilité durable dans un contexte de vivre-ensemble ?

Nous ne bougeons pas assez ; c’est mauvais pour la santé, tant physiquement qu’émotionnellement. Les enfants voudraient bouger, et on les attache sur la banquette arrière des voitures en les calmant avec des Smartphones. L’activité physique ne rend pas seulement plus mince, mais aussi plus heureux. Non seulement d’un point de vue strictement biochimique, pour la seule raison que le mouvement libère des hormones telles que la sérotonine ou la dopamine, mais aussi d’un point de vue social. Se déplacer est un moyen de rencontrer du monde, de découvrir ce qui nous entoure et de percevoir notre ville ou notre village par les sens ; de le sentir, de l’écouter, de le ressentir et de le voir de manière plus intense. De plus, une ville ou un village qui respecte l’homme est plus social et beaucoup moins anonyme qu’un modèle urbain où règne la logique automobile, séparant la route des piétons. Dans certaines banlieues françaises, l’animation de l’espace public a aussi contribué à réduire la criminalité. (Source : conférence Walk 21 à Munich) Et cela ne m’étonne pas du tout.

Quelles villes ou quels projets sont déjà sur la bonne voie d’après toi ? Quelle place prennent l’Allemagne et la France dans ce classement, et que leur manque-t-il pour s’améliorer ?

La France et l’Allemagne, psychologiquement, sont trop attachées à l’industrie. L’industrie d’Etat et l’industrie automobile représentent, dans un pays comme dans l’autre, un système de lobby très fermé. Dans les deux cas, cela induit un excédent de subventions dans l’industrie automobile locale.

Même si cela commence à être ennuyant à la longue, il convient de citer et réciter les mêmes exemples. Copenhague veut devenir climatiquement neutre d’ici 2025, objectif qu’elle n’aura pas de souci à atteindre puisque plus de la moitié des personnes effectuent déjà leur trajet de navette à vélo. Utrecht a ouvert cet été le plus grand parking à vélo au monde, capable d’accueillir 12500 vélos et même gratuit jusqu’à 24 heures. Je n’ai pas fait le calcul, mais j’ose m’avancer sur le fait que, tous confondus, les quelque 100 parkings à vélos d’Allemagne ne contiennent pas plus du double de vélos que le parking d’Utrecht à lui seul. Notre voisine néerlandaise consacre chaque année 100 euros par personne à la cause cycliste. En Allemagne, ce budget est réduit, pour les villes les mieux classées, à 10-20 euros par personne, la plupart étant en dessous des cinq euros. Vienne a bien compris elle aussi que le vélo changeait le visage de la ville. « Cycling is the city changer », tel fut le credo de la vice-maire 2013, Maria Vassilakou, au Velocity de Vienne. Un autre projet lancé par Vassilakou fut celui de la zone de rencontre dans la rue Mariahilfer, que cette dernière a soutenu en dépit de l’opposition virulente de son adversaire politique. Et ce dans une ville où bien 40 pour cent des trajets sont assurées par le réseau des transports en commun. Le ticket de transport de 365 euros valable non seulement à Vienne, mais surtout autour de la ville, y est pour quelque chose. Ticket qui, même en une année bissextile telle que l’année 2020, ne coûte que 365 euros. Un coût qui est loin de dissuader les navetteurs quotidiens. Zurich, s’est quant à elle engagée, sur referendum, à devenir une ville à 2000 watts. Cela équivaudrait à la quantité d’énergie maximale à produire pour un homme afin de se tenir à l’objectif des 2 degrés. Helsinki, avec son programme « Mobility as a service », est la plus avancée concernant la numérisation du tournant de la mobilité. Et ce ne sont pas les voitures privées et parfaitement reliées, auxquelles il est fait allusion. Il s’agit plutôt de l’optimisation de l’information et de la possibilité de réserver des transports à même d’offrir une alternative à la voiture personnelle. Grâce à l’application « Whim », qui ne signifie pas moins que « selon l’humeur et l’envie », il est possible pour chacun de trouver et de commander tout type de transport disponible dans la capitale finnoise. On règle sous forme de tarif forfaitaire, qui commence à 49 euros par mois pour un abonnement de transport en commun plus un petit supplément pour les vélos en libre-service pour atteindre, à l’échelon le plus élevé, la somme de 500 euros par mois. Ce tarif comprend la location de voitures d’emprunt, les trajets en taxi et toute offre de mobilité existante.

Il n’est pas inintéressant de constater d’ailleurs que Zurich, Copenhague et Vienne sont aussi en tête de la liste quand il est question des villes les plus agréables à vivre.

Afin de sauver les meubles, notons toutefois qu’un autre niveau doit être pris en compte dans le cas de la France et de l’Allemagne, à savoir le niveau communal. Anne Hidalgo, maire de Paris, joue un rôle assez considérable dans la restructuration de la capitale. Du jour au lendemain, au sens propre du terme, on voit des voies automobiles transformées en pistes cyclables. Le plan vélo prévoit d’étendre les pistes cyclables parisiennes à 1400 kilomètres pour 2020. Quant aux systèmes de libre-service Vélib et Autolib, ils constituent aujourd’hui des modèles pour d’autres métropoles. Le réseau de transports en commun est sujet à des restructurations massives. A partir de 2030, plus aucune voiture à moteur à combustion n’est censée pénétrer l’enceinte de la ville. Madame Hidalgo veut vraiment transformer Paris : « ce n’est pas les voitures que vise mon combat, mais la pollution », explique-t-elle.

Lyon, Bordeaux et Strasbourg, elles, ont procédé depuis longtemps à la modernisation de leurs tramways, avant d’introduire peu à peu le vélo dans leur réseau.

Le LAUF-RADWEG, inventé par Norbert Krause, est une piste cyclable mobile de 50 m de long destinée à combler les lacunes du réseau. Le LAUF-RADWEG, inventé par Norbert Krause, est une piste cyclable mobile de 50 m de long destinée à combler les lacunes du réseau. | Photo : Michael Adler En ce qui concerne l’Allemagne, Karslruhe a, entre 2006 et aujourd’hui, presque doublé l’effectif de pistes cyclables, passé de 15 à 27 pour cent, au grand dam du trafic routier. Le système de transports en commun de la métropole bavaroise quant à lui, avec un réseau de tram qui s’étend jusque loin dans les zones rurales environnantes, est exemplaire. A Heidelberg, plus de 50 pour cent des trajets sont déjà réalisés à pied ou à vélo. Reste le cas des modèles du nord : Oldenburg, avec ses 35 pour cent de voies cyclables, Brèmes, avec plus de 25 pour cent et Berlin, qui, dans des quartiers centraux tels que Kreuzberg-Friedrichshain, Prenzlauer Berg et dans certaines zones de Pankow, se contente de moins de 20 pour cent de trafic routier pour la mobilité intra-urbaine.

Malgré tout, en plus de modèles tels que ceux de Copenhague, Zurich, Vienne ou Utrecht, il manque à l’Allemagne un ingrédient décisif : une véritable volonté politique.

Les mots clés : motivation, émotion et peur. Dans mon article d’ouverture j’évoque les effets nocifs des trajets quotidiens sur notre tempérament ainsi que sur notre système immunitaire, en particulier chez les automobilistes. Quelle est la raison pour laquelle, en tant qu’Allemands, nous sommes si attachés à nos voitures ? Comment trouver la motivation nécessaire pour repenser la mobilité ?

Si l’on tient autant à nos voitures, en tant qu’Allemands, c‘est parce qu’on a toujours fait comme ça, du moins dans les 50 à 60 dernières années – ce qui, dans nos esprits, donne l’impression ça a toujours été le cas. Il n’y a rien de plus fort qu’une routine, au sens où il s’agit d’une vraie manie. Conduire est une manie. Non pas que cela fasse du bien, on en est d’ailleurs conscient, mais son fait quelque chose dans le seul but de se donner le droit de continuer à le faire. Harald Welzer et Klaus Leggewie ont écrit, dans un livre qui date d’il y a dix ans déjà : les Allemands sont automobiles. Dans leur façon de penser, dans l’ensemble de leur vie sociale et dans leur état d’esprit.

Comme pour les cigarettes, l’alcool ou les sucreries, se défaire de la conduite constitue une véritable privation. Dans notre agence, nous lançons très régulièrement des campagnes pour valoriser le changement. Ce qu’il faut, c’est mettre le doigt sur les aspects litigieux de la conduite du groupe ciblé et lui proposer des alternatives, en guise d’essai. Selon le credo de la vieille publicité « do, feel, learn », il faut que les personnes visées essayent un autre type de mobilité pour sentir par elles-mêmes que cela leur fait du bien et, dans le meilleur des cas, en faire une nouvelle routine.

Permettez-moi de vous raconter une petite histoire à ce sujet : à Bonn, le Südbrücke, pont Sud, une voie d’autoroute rejoignant la Tour de la Poste et l’agence Telekom, avait été barré. Par un matin de mai ensoleillé, j’ai rencontré un homme en costard cravate sur la piste cyclable longeant le Rhin, qui semblait de fort bonne humeur. Alors je l’interpelle et lui crie : « c’est quand même un sacré luxe, de pouvoir aller au travail à vélo comme ça au bord du Rhin ! » Et lui de me répondre : « Je fais ça depuis que les travaux sur le pont ont commencé, et ça me fait tellement de bien que j’ai décidé de garder cette habitude une fois les travaux finis. »

Gerald Hüther, neurobiologiste, est formel au sujet de ce changement de comportement : « c’est par l’expérience et l’émotion que l’homme apprend. »

Comment puis-je, en tant qu’individu, participer à une mobilité durable tout en améliorant mon mode de vie ? Quels sont les éléments qui font défaut, au niveau national, européen comme international, pour y parvenir ?

En tant qu’individu, nous avons la liberté de prendre une nouvelle décision à n’importe quel moment. Pour ce qui est du niveau national en revanche, presque tous les éléments clés font défaut.

Commençons par l’individu. Les êtres humains sont pratico-pratiques. C’est la raison pour laquelle ils se limitent à faire ce qu’ils connaissent dans un cadre qui leur garantit de bonnes conditions. Etant donné que nous avons déroulé le tapis rouge aux voitures dans nos villes comme dans nos villages, il est évident qu’il est pratique de rouler en voiture. Un bus qui ne passe que toutes les trois heures dans un village, ou, en ville, une piste cyclable coincée entre la zone piétonne d’un côté et les voitures garées de l’autre, ce n’est pas pratique. Richard Thaler, qui a reçu le prix Nobel d’économie comportementale, donne le nom d’« architecture de décision » à ces conditions qui favorisent ou empêchent un comportement individuel. Je pense que nous avons besoin de modifier nos rapports pour que le changement de notre comportement nous paraisse plus facile. Nous devrions donc manifester sous forme de masse critique (« critical mass »), avec la force d’une décision venant du peuple, pour une meilleure politique du conseil ; entrer en dialogue avec les entreprises de transports publics afin d’obtenir de meilleures offres et surtout, des tickets à des tarifs plus compréhensibles et plus avantageux. Les 365 euros du ticket à Vienne doivent servir d’étalon. Par ailleurs, nous devrions lutter pour la conservation et l’aménagement que de petits squares. Nos espaces publics doivent être équipés de bancs, qui sont des lieux de repos ou de rendez-vous. Nous devrions mettre des couleurs dans nos espaces verts à coups de bombes de graines (« seedbombs ») ou même y planter des fruits et légumes comme c’est le cas dans la ville d’Andernach, qualifiée à ce titre de « ville comestible ». Par ailleurs, en se promenant régulièrement à pied ou à vélo dans son village ou son quartier, on rencontre davantage de monde et garde une meilleure santé. Le professeur Ingo Froböse, de la haute école de sport de Cologne, a su me motiver avec cette seule phrase : « en faisant régulièrement du vélo, vous pouvez garder vos 40 ans pendant 20 ans ».

Cela fait des décennies que la politique nationale fait défaut en Allemagne. Les ministres fédéraux du trafic ne sont que des adjoints d’exécution de l’industrie automobile allemande, et n’ont ainsi d’estime que pour les subventions destinées à ce moyen de transport qui n’est pas le bon. Le Ministère de l’Environnement, quant à lui, dénonce régulièrement les conséquences nocives de ces gratifications de l’Etat sur l’environnement, et il se trouve qu’il fait des découvertes particulièrement juteuses dans le secteur des transports. 12 milliards, c’est la somme payée par la communauté pour la seule valorisation du trafic aérien, tandis que 7,4 milliards sont dépensés pour l’imposition relativement minime sur les véhicules diesel. Enfin, 5,1 milliards sont consacrés aux avantages fiscaux sur les véhicules de fonction.

Dans le secteur énergétique, ce sont 20 milliards supplémentaires qui fluctuent, une somme d’argent utilisée pour la production d’électricité à partir de charbon. On ne peut cependant pas se permettre d’encenser l’e-mobilité comme un moyen de locomotion durable quand sa propre production d’électricité est cause de la plus grosse émission de CO2 de toute l’Europe.

Si la discussion au sujet de l’instauration d’une vitesse limitée sur les autoroutes allemandes, de nouveau actuelle, fait l’objet d’un débat si virulent, c’est bien parce que la politique non seulement des conservateurs, mais aussi des sociaux-démocrates, est restée ancrée dans la tradition du XXe siècle.

L’instauration de seuils limites par l’UE dans les dernières décennies a au moins eu le mérite de faire bouger les choses en Allemagne. Seule, l’instauration de tels seuils fixés par l’UE sur la quantité de microparticules et l’oxyde d’azote a permis de mettre en avant le scandale du diesel et de lancer le débat au sujet de la qualité de l’air dans nos villes.

Quant à l‘ONU, elle reste, malgré l’inefficacité des différentes COP, la seule institution en mesure de déployer une certaine force politique en matière d’ordre pour la protection de l’environnement. Aucune action n’avait été constatée avant la mesure du seuil des deux degrés de Paris.

Néanmoins, l’Europe, comme l’ONU, sont freinés par les gouvernements d’extrême-droite dans certains des Etats membres tels que la Pologne, la Hongrie, les Etats-Unis ou le Brésil.

Pourrais-tu éclairer un peu plus nos lecteurs, ou leur conseiller par exemple des applications qui faciliteraient notre changement de mobilité ?

Tout à fait. Il n’y a que la communication positive qui nous permettra de triompher du futur. Or, nous devons en faire une esquisse telle que ces futurs que l’on s’imagine soient souhaitables, appréciables, paisibles et passionnément convoités. Il ne s’agit pas « de renoncer » à la voiture, mais de transmettre à nos enfants comme aux personnes âgées, et de ce fait à toute personne d’âge moyen, des villes et des villages dans lesquels ils aient envie de se déplacer, en toute autonomie, en toute liberté et en toute sécurité. Pour cela, nous avons besoin d’une restructuration uniforme des espaces publics et des voies. Et surtout, nous avons besoin de la technique moderne. Nous devrions encourager les nouvelles initiatives et penser l’espace davantage sous forme de circuits et de propriétés partagées. En tant qu’être humains, il faut aussi que nous redevenions plus sociables, et ce aussi en terme de mobilité. Il ne s’agit pas là d’avoir le plus gros SUV pour être le plus in, mais plutôt d’avoir le vélo le plus cool, un vélo cargo pour transporter ses enfants, et un accès illimité à internet à la façon d’Helsinki sur son Smartphone. Pour cela, ce n’est pas de magie dont nous avons besoin, mais de politiques qui soient prêts à entreprendre courageusement un changement progressif de nos rapports. Il n’y a pas qu’en économie que nous avons besoin de personnes en charge de développer avec détermination des concepts et des plans témoignant d’empathie et de prévenance envers les plus faibles et réservant les projets ambitieux aux plus forts. Nous avons surtout besoin d’une politique locale qui pense, organise et restructure la ville ou le village pour les hommes qui l’habitent. Or, pour pouvoir subsister dans un système démocratique, une telle politique a besoin de participation et de communication. Il faut que nous parlions de ces futurs auxquels nous aspirons. Dans cette démarche, le rôle de la politique est de s’immiscer, de soumettre, tout en incitant au discours. C’est en partie pour ces raisons que j’ai fondé tippingpoints : afin d’inciter au discours, de garder le cap dans une démocratie médiatique et de permettre à la politique progressive d’obtenir de bons résultats. Or, si nous y parvenons, nous avons une idée que nous pourrions opposer aux représentations trop courtes, trop nationalistes et trop racistes que les populistes de droite se font du monde. Ce que je veux, c’est une ville meilleure, et pas seulement une meilleure piste cyclable d’un point A vers un point B. Enfin, quel que soit l’endroit où nous nous trouvons, il faudrait entreprendre d’en parler et agir en conséquence. L’effet immense qu’une telle action pourrait avoir, Greta Thunberg nous l’a montré avec une simple affiche en carton.
 
Cher Michael, je ne peux qu’approuver ce que tu viens d’énoncer !
Et vous, chers lectrices, chers lecteurs, quelles réflexions vous faites-vous au sujet de la mobilité et du durable, et quels discussions menez-vous à cet égard ? Comment vivez-vous le #GoetheFSEcoChallenge qui a lieu actuellement ? Nous sommes curieux d’en apprendre plus sur vos expériences personnelles. Alors n’hésitez pas à poster des photos sur la page facebook du Goethe-Institut de Paris ou à nous notifier sur Instagram avec les hashtags #GoetheFSEcoChallenge et #mobility.