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Entretien avec Abhinav Agarwal
La ville résiliente

Santa Meyer-Nandi (à gauche) et Abhinav Agarwal (à droite)
Santa Meyer-Nandi (à gauche) et Abhinav Agarwal (à droite) | Photos (détail) : Santa Meyer-Nandi

J’ai le plaisir de vous présenter aujourd’hui une interview avec l’expert en innovation Abhinav Agarwal sur le thème des villes résilientes. Abhinav Agarwal est pour moi l’une des personnes les mieux reliées à tout ce qui touche à la diversité de réseau et aux activités à Paris – et cette connexion toute particulière s’étend au lien qui nous rattache tous les deux. Abhinav réside à Paris où il exerce comme entrepreneur frugal – nous reviendrons sur ce terme –, speaker et formateur.
Abhinav et moi-même entretenons, vous l’aurez compris, une profonde amitié – et il faut dire que nous nous sommes mutuellement coachés ! Nous avons également eu l’occasion de collaborer au cours de différents événements autour des thématiques de la prévenance, de l’innovation, du durable et du piratage de croissance, le dénommé « growth hacking ».

Cher Abhinav, je crois que le moment est venu d’entrer dans le vif du sujet !
Intéressons-nous un peu plus à tout ce qui touche aux rituels, aux routines et à la régénération ; à l’échelle de l’individu, la prévenance, la méditation et la gratitude, tout comme le fait de savourer consciemment toute chose, ont une influence directe sur notre bien-être – et, de fait, sur la qualité de nos actes, le bien-agir en somme ; c’est scientifiquement prouvé. Il vaut donc la peine de puiser pleinement dans nos capacités pour dépasser cette incorrigible paresse qui est en nous ; cela profitera à chacun, tant à nous-mêmes qu’aux personnes qui nous entourent. Pourrait-on évoquer un terme pour regrouper les idées de système de bien-être et de bien-agir et le dépassement de cette paresse inhérente à notre fonctionnement ? Dans quelle mesure peut-on rapporter ce modèle au contexte de la ville et des systèmes ?


Tu abordes un point essential, ma chère Santa ! Dans le cadre de ce que l’on nomme l’économie paresseuse, nous développons, lorsque nous fonctionnons en pilote automatique, les habitudes-type d’un fainéant, qui nous conduisent à prendre des décisions ou à faire des choix irréfléchis ayant un impact sur le système urbain. Par routine, on entend une action répétée consciemment. Par exemple, lorsque l’on cuisine tous les jours et que l’on préfère commander à manger le vendredi pour savourer le début du weekend, on peut parler de routine agréable, ou d’habitude. Mais en conférant un peu plus d’intention à ces routines, on peut faire qu’elles deviennent des rituels.  Ainsi, en commandant une nourriture saine, fabriquée et distribuée dans le respect des normes éthiques, on peut transformer le repas du vendredi soir en un moment particulier et joyeux entre amis ou en famille. On qualifie quelque chose de rituel dès lors que l’on accorde de l’attention à une habitude répétée de manière intentionnelle.

On parle alors de traditions. En Inde, l’année est ponctuée de traditions et de festivals, de même qu’en France d’autres traditions viennent rythmer le cours de l’année, telles que Noël ou le Jour de l’An. Lorsque l’on se prend à oublier des traditions, ou ne serait-ce que l’intention que celles-ci renferment, on prive la culture d’une mémoire qui était transmise depuis des générations. Peu importe qu’il s’agisse de traditions religieuses, de recettes de cuisine ou de savoirs écologiques traditionnels. Ainsi, en introduisant cette notion de rituel dans notre quotidien, que ce soit en préparant le café le matin, en souhaitant bonjour tous les matins à ses collègues ou en se rendant tous les samedis matin au marché, on fera que chaque petit geste contribue à nous rendre heureux et à nous maintenir en bonne santé. Et si ces habitudes prennent une dimension collective, volontaire et consciente, elles auront un impact direct sur la ville, et vice versa. Les villes en pleine expansion doivent ainsi déterminer ce que signifie véritablement pour elles la croissance en réfléchissant à la manière dont l’écologie peut leur permettre d’accroître le sentiment de bonheur et de bien-être.

Voilà qui est remarquable, cher Abhinav ! Si l’on présente maintenant les choses plus concrètement : il me semble que nous nous efforçons tous deux, tant dans notre vie personnelle que dans notre vie professionnelle, de mettre en place des modes de pensée et des environnements qui privilégient la résilience et la santé – à tous niveaux. Je ne crois pas me tromper non plus en disant que nous nous intéressons particulièrement à la façon dont chaque individu se relie aux systèmes. A ce titre, est-il possible de parler de « ville résiliente », en se rapportant à la métaphore du « bon système immunitaire » ? Je pense notamment au récent discours de la science quant à l’importance d’une bonne flore intestinale et au bienfait des bactéries positives pour nous prémunir des bactéries nocives. En d’autres termes, si l’on se réfère à cette image du bon système immunitaire à même de contrer les chocs et les dérangements et de nous protéger contre leurs méfaits, dans quelle mesure peut-on qualifier une ville de résiliente ?

Il est en effet possible d’établir une parallèle entre le microbiome intestinal et le caractère résilient d’une ville. La diversité est la clé de la résilience.

Or, le microbiome intestinal est un écosystème composé de tous types de bactéries et de nombreux autres micro-organismes issus de l’environnement qui occupent en permanence le transit gastro-intestinal. Il arrive que ces millions de micro-organismes soient déséquilibrés par un grand nombre de facteurs, aussi bien extérieurs qu’intérieurs. La composition du microbiome intestinal diffère selon les modes de régime et d’alimentation, qui se révèlent être intimement liés à la situation géographique. Nous sommes ce que nous mangeons.

Exactement, Abhinav. On peut donc aussi bien se débrouiller avec l'une ou l'autre marchandise, si le bon microbiome est en équilibre.

De même, la résilience d’une ville dépend de sa diversité socio-culturelle, économique et écologique ainsi que de sa relation avec les villes voisines. Plus une ville présente de diversité, plus elle est à même de résister aux chocs économiques, écologiques et sociaux. L’autonomie est également un facteur de résilience décisif pour une ville. Or, l’autonomie d’une ville dépend de son équilibre, qui repose sur le maintien et la gestion de son flux de nourriture, de biens et de services, sa consommation énergétique, son activité économique ainsi que de sa cohésion sociale. En mettant en lumière la fragilité de notre système, la pandémie du COVID-19 a dénoté les points sur lesquels il nous est nécessaire de mettre toute notre énergie et nos efforts en nous recentrant sur l’essentiel. En ce sens, comment encourager notre économie locale ? Comment manger local ? Comment partager avec nos voisins et rendre nos rapports plus sociaux ? Telles sont les questions qui se posent.

Ce questionnement doit paraître un peu étrange à ceux qui n’y sont pas accoutumés. D’un autre côté, ce parallèle entre le système immunitaire d’un individu et celui de l’environnement ou de la ville recèle une vérité et une sagesse incroyables. Tout comme une forteresse bien bâtie, ou comme la maison dans le conte des trois petits cochons, un système immunitaire fort est plus à même d’encaisser les chocs et récupère plus vite.
Or, en tant qu’expert en matière de bien-être et de durable, je sais à quel point de saines routines alimentaires, les petits rituels de bienveillance ou la gentillesse peuvent booster nos systèmes, à tout point de vue. Et si l’on intègre ces rituels au cœur des écoles et des entreprises, de même qu’au sein de la société dans son ensemble, l’effet de résilience et de bien-être ainsi créé opèrerait à un tout autre niveau, dans la mesure où un grand nombre de responsabilités sont actuellement entre les mains des individus qui portent aussi le poids d’une société encore amplement dominée par des systèmes de récompense extrinsèques (dont l’effet contreproductif et anti-créatif est approuvé), et par un grand nombre de piliers de réussite qui sont loin de placer le bien-être et le bien-agir au sommet de leur modèle. La science est là pour prouver que la motivation intrinsèque et le bien-être nous rendent plus efficaces et plus résilients sur le long terme ; seulement, le changement et la confiance tardent à se mettre en place et font face à une certaine résistance.

J’aurais encore quelques questions à te poser. Qu’est-ce qui fait d’une ville une ville non résiliente ? Par exemple, en Inde, on avait coutume d’utiliser des assiettes en feuilles ou en terre glaise qu’on laissait tout simplement sur le sol où elles se décomposaient. Aujourd’hui, on continue à jeter les déchets par terre, mais ils sont maintenant à base de plastique ou d’aluminium (introduit par des grandes firmes internationales comme Nestlé and co), qui ne sont pas sans causer toutes sortes de dommages. Les mentalités, en revanche, au même titre que les habitudes collectives ou que ce système « immunitaire », n’ont pas été en mesure d’absorber le choc, ce qui a contribué à fragiliser le système global. Ici, j’ai le sentiment que nous payons, pour notre part, le prix de l’« uberisation » et de  l’ « amazonification » massives qui nuisent aux petits commerces locaux. Et quand on parle des montagnes de déchets qu’Uber Eats et les sociétés de livraison en général ont suscité par le biais de la vente à emporter, on a affaire à un fonctionnement qui est pour moi obsolète, sans parler de la façon dont il détourne notre système économique, qui n’était pas assez solide pour s’y confronter. Naturellement, on peut décider, en tant qu’individu, de ne pas commander à manger. Néanmoins, comme j’ai pu l’apprendre au terme de nombreuses années d’activisme, la présence d’un système de pare-chocs peut aussi s’avérer très utile.

Certes, il est vrai que nous avons acquis ces 10-15 dernières années un confort quotidien notable du fait de l’introduction relativement homogène de la technologie dans nos vies, une technologie qui nous dévore par ailleurs d’une manière que nous ignorons. Quand je parle d’économie paresseuse, je fais allusion au fait qu’il suffit d’un clic pour avoir à disposition de la nourriture, un transport et même un fast food bio, pour les personnes trop occupées qui le désirent. Nous avons cessé de nous poser des questions, de prendre des décisions ou de faire des choix conscients sur la manière dont nous entendons vivre nos vies. Or, si elle devient collective, une telle économie de paresse donne lieu à une ville paresseuse et incapable de résilience. Au contraire, un mode de vie consciencieux génère une ville consciencieuse. L’esprit critique, la curiosité et la créativité nous aident à nous rendre compte des dommages que nous causons en polluant nos villes, en gâchant la nourriture ou les emballages. En prenant conscience de nos actions, nous pouvons faire que nos villes deviennent des lieux agréables où l’on puisse côtoyer des personnes charmantes, sans devoir se sentir coupable de polluer la nature ni de gâcher ses ressources. Pour ce faire, il faut recourir à ce que l’on nomme « crowdsourcing » en faisant appel au savoir-faire du plus grand nombre.
Si l’on suit cet ordre d’idée, une ville non-résiliente serait donc une ville dépourvue de cohésion sociale, fragmentée à tout point de vue, consommant plus qu’elle ne produit ; une ville en déficit, polluante, qui n’exploite pas ses ressources locales et n’entretient aucune relation de symbiose avec ses voisins.

#Storytelling : Comme vous le savez tous, cher Abhi, chers lecteurs, j’aime me figurer le scénario idéal, et je crois que c’est en idéalisant ainsi, et en établissant un socle de connaissances fondées sur les savoirs de différents experts tels que toi, Abhi, mais aussi Christian Berg, Michael Adler, Laura Foglia ou Kelly Saunders, que nous parvenons à mettre en application ces connaissances et à les transformer en une entité active.

Je t’invite donc à rejoindre ma pensée et à imaginer avec moi ce magnifique monde urbain, à la fois microcosme et macrocosme, où règnerait au travail comme à l’école les notions de valeurs, de collaboration et de partage au sein d’un environnement vert ; un monde où ces vertus seraient pleinement intégrées aux emplois du temps scolaires comme aux plans de construction des immeubles et des parcs et à notre façon d’appréhender la nourriture et les déchets.


Absolument, chère Santa, nous souffrons en effet d’un immense décalage entre savoir et action. Nous savons tout un tas de choses qui ne sont bonnes ni pour nous ni pour notre planète, et rares sont ceux qui sont assez courageux ou audacieux pour prendre des mesures concrètes.

La nature détient toutes les réponses, et il suffit de l’observer et d’entrer en contact avec elle pour comprendre à notre tour notre propre nature. Dès lors que nous aurons pris conscience de la Nature avec un grand N, de sa fragilité et de son caractère résilient, nous pourrons envisager de construire des bâtiments, qui, par leur conception, soient eux aussi résilients ; des bâtiments qui permettent d’optimiser l’utilisation des ressources et de mettre à profit des matériaux écologiques locaux, favorisant un chauffage et un éclairage naturels et facilitant les échanges humains.

De même, les valeurs à enseigner dans les écoles doivent figurer explicitement dans tout l’environnement d’apprentissage, en partant des salles de classes jusqu’à la nourriture servie à la cantine. Quant à l’emploi du temps, il doit être revisité de manière à esseimer dans l’esprit des enfants ce qu’il faut de curiosité. Voilà tous les petits pas que nous pouvons réaliser en tant qu’individu, famille, entreprise de construction ou école, et grâce auxquels nous pouvons avoir un impact majeur sur la ville.

C’est absolument passionnant, Abhinav, et je suis sûre que nos lecteurs sont du même avis ! D’après vous, comment rendre les villes, les pays et notre monde en général plus résilients ? Quelles petites piques vous lanceriez-vous afin de devenir acteurs de votre propre résilience ? J’ai hâte d’en apprendre plus à votre sujet et de découvrir toutes vos bonnes idées !

Vous adressant tout mon amour, courage et résilience,
Santa

 

Le Jardin d'aimeraudes d'Abhinav

Vous serez peut-être curieux d’apprendre qu’Abhinav est en train de concevoir, à seulement une heure de Paris, une micro-biosphère du nom de Jardin d’Aimeraudes, un projet qui s’étend sur une surface de 16 hectares de terrain, également dotée d’un petit lac tout à fait fantastique. L’idée est d’y mettre en pratique tout ce dont nous venons de discuter, des petits rituels à la permaculture, en passant par l’écoconstruction et la production énergétique. Des ateliers sur l’éco-packaging mais aussi le bien-être, la médecine par les plantes ou encore l’innovation compatissante y seront organisés, et bien d’autres choses encore ! Cet espace est ouvert aux enfants de tous âges, aux associations, aux particuliers comme aux entreprises. On s’efforce aussi d’introduire dans cet espace une dynamique avec l’écosystème normand local afin d’y mettre en place des pratiques régénératives.
 
L’entreprise de frugalité d’Abhinav

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