Les Mots-dits : Une chronique linguistique
Gotta Go, Buffalo!

Illustration : personne avec la bouche grande ouverte, bulle avec des emojis souriants de différentes couleurs de peau
Auf Wirsing, Tschö mit Ö, see you later, Alligator, bye bye Hawaii, San Frantschüssco, bis Denver, bis Baldrian, bis spätersilie, bis dannewitz, schönes Knochenende! Schittebön | © Goethe-Institut e. V./Illustration : Tobias Schrank

Hasnain Kazim s’est longtemps montré allergique aux jeux de mots pseudo-drôles. Jusqu’à ce qu’il finisse malgré tout par succomber quelque peu à leur charme... complètement insensé. Après tout, beaucoup de choses sont plus faciles à supporter si on peut en rire avec de pâles calembours, non ? Voici le dernier article de notre chroniqueur sur le vaste sujet « Langue et cohabitation ».  

De Hasnain Kazim

Kikou, yo, salut les gens ! De nos jours, on parle beaucoup du langage bienveillant, inclusif, politiquement correct. Et donc des mots les plus appropriés et de ceux qu’il est préférable de ne plus utiliser. Je pense que cette réflexion autour du langage est une très bonne chose, même si j’ai parfois l’impression que de temps en temps, comme dirait l’autre, on dépasse les bornes, ou on jette le bébé avec l’eau du bain.

Il y a toutefois des expressions qui me mettent hors de moi, me font dresser les cheveux sur la tête, me rendent fou : par exemple quand les gens disent en allemand « zum Bleistift » (signifiant littéralement « au crayon », un non-sens très proche phonétiquement) au lieu de « zum Beispiel » (par exemple). Ou lorsqu’ils se disent « au revoir » en utilisant « Tschüssikowski » (un mélange de Tschüss, au revoir, et de Tchaïkovsky), « Tschüsseldorf » (un mélange de Tschüss et de Düsseldorf) ou encore « Ciao Kakao ». Lorsqu’ils vous souhaitent un « herzlichen Glühstrumpf » (littéralement, joyeux manchon à incandescence) au lieu d’un « herzlichen Glückwünsch » (tous mes vœux) à votre anniversaire, lorsqu’ils vous demandent de leur faire une petite place sur le banc à l’aide d’un « Stück mal 'n Rück » au lieu de « Rück mal 'n Stück », ou encore portent un toast en vous lançant les diminutifs « Prösterchen » et « Stößchen » au lieu de « Prost » et « Stoss an ». Ces personnes sont an und Pfirsich (littéralement, en et pêche, qui ne veut rien dire mais ressemble à la véritable expression « an und für sich », à vrai dire) très gentilles, mais elles boivent des « Käffchen » (petits cafés) et des « Sektchen » (petites bulles), et fument des « Zigarettchen » (petites cigarettes). Elles remplacent « na super » (chouette !) par « na supi », « bis dann » par « bis danniwanni » (mélangeant alors les locutions « bis dann », à plus tard, et « dann und wann », de temps en temps) et « Guten Abend » (bonsoir) par « Na Bernd » (littéralement, hé bien Bernd). Lorsqu’elles reçoivent un appel, elles décrochent le « Teflon » au lieu du « Telefon ». Elles trouvent tout « wunderbärchen » (diminutif de « wunderbar », merveilleux, et signifiant aussi littéralement ourson miraculeux). Mais pas moi ! 

Même pas drôle

Ne vous méprenez pas : je suis totalement pour l’humour et l’esprit léger ! Pas parce que la vie est très marrante, mais plutôt parce que l’humour permet de mieux supporter certaines choses. L’humour peut apporter une certaine dignité à la cohabitation entre humains, même lorsque la situation semble indigne. « L’humour est l’élément qui empêche la moutarde de nous monter au nez », a écrit le poète Joachim Ringelnatz. Un Träumchen (petit rêve) ! 

Mais ces déformations et diminutifs linguistiques pseudo-drôles me tapent vraiment sur le système, pardon, me courent sur le haricot, enfin, me tapent sur les nerfs ! Plus j’entends ou je lis une expression de ce genre, plus je me dis : « Izmir schlecht! » (forme correcte : « ist mir schlecht », ça me rend malade).

Le préfixe « pseudo » signifie : faux, imitation, contrefaçon. Le terme « pseudo-drôle » veut donc dire que ce n’est vraiment pas marrant ! Et c’est exactement ça ! Capiche ? D’accord, chacun fait ce qui lui plaît, mais là, on dépasse les bornes ! Il ne me viendrait pas à l’idée de taper des boutades aussi navrantes sur mon « nez-cran ».

Quoique...

J’ai critiqué les jeux de mots pourris sur les réseaux sociaux, et devinez quoi : j’ai été submergé de jeux de mots pourris ! Pas mal, Einstein ! Je me suis dit : mais c’est pas possible ! Si j’avais su... Ce fut comme un coup d’épée dans l’eau, et ça s’était même retourné contre moi ! J’ai réalisé que certaines tournures étaient si idiotes qu’elles en devenaient finalement drôles. Et comme je l’ai dit plus haut, certaines situations sont plus faciles à supporter lorsqu’on y glisse une pointe d’humour, même s’il s’agit d’un jeu de mot débile. On a besoin de temps à autre d’un peu de légèreté pour ne pas perdre de vue la gravité de la situation. Ça roule, ma poule, ai-je alors pensé, je vais m’y mettre aussi !

Et voilà le résultat : depuis, tous les matins, je me nettoie le minois puis me brosse la salle à manger, surtout après avoir avalé un peu de Knofi (diminutif de « Knoblauch », ail). Ces jeux de mots tellement idiots sont devenus pour moi une source de plaisir constant et je ne les trouve désormais plus si horribles.

J’ai également appris que le 12 novembre était la « journée des jeux de mots pourris » en Allemagne et qu’elle avait été lancée par le dessinateur Bastian Melnyk. J’ai découvert qu’il existait différents types de jeux de mots, comme les polysémiques, qui utilisent le caractère ambigu de certains termes (Un bouquet de pensées occupe mes pensées) ; les paranomases, qui utilisent des mots aux sonorités voisines (Des musiques comme celles-là, on n’en a jamais entendues « décibels ») ; ou encore la simple inversion de lettres ou de mots, comme par exemple « roder » qui devient « dorer ». La « journée des jeux de mots pourris » devrait devenir un jour férié !

Discuter au lieu de se disputer

Ce qui importe vraiment est que nous devrions réfléchir plus souvent à notre langage. Aux mots que nous utilisons. Évaluons notre vocabulaire, soyons respectueux et prévenants, reconsidérons notre façon de parler, sans jamais peser nos mots. Essayons, d’un côté, de ne pas offenser les autres, et de l’autre, de ne pas prendre la mouche trop facilement lorsqu’on entend des paroles malheureuses. Discutons-en plutôt. Parlons des expressions et de leurs conséquences. Car les mots ont leurs effets. Il ne faut jamais sous-estimer leur puissance. Certaines personnes se montrent parfois trop brusques ou utilisent un mot qu’un autre pourrait trouver blessant. Avoir une discussion peut permettre d’y voir plus clair.

Et voilà, amis lecteurs chers à mon cœur, ma mission était d’écrire six articles pour le Goethe-Institut. Le thème que j’avais choisi était « Langue et cohabitation ». C’est donc la fin, stop, par ici la sortie. Je dois malheureusement vous faire mes adieux. Il ne me reste plus qu’à vous dire : berci mien pour votre attention. À plus dans le bus, à bientôt dans le métro, à demain dans le train ! Beau revoir !
 

Les Mots-Dits – une chronique linguistique

Dans notre rubrique « Les Mots-dits », nous nous consacrons toutes les deux semaines à la langue - en tant que phénomène culturel et social. Comment la langue évolue-t-elle, quelle est l'attitude des auteur·e·s vis-à-vis de « leur » langue, comment la langue marque-t-elle une société ? - Des chroniqueurs/-euses alternants, des personnes ayant un lien professionnel ou autre avec la langue, suivent chacun leur thème personnel pendant six numéros consécutifs.