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Fatma Aydemir
« Une structure composée d’histoires »

Comme nous le savons, chaque famille malheureuse l'est à sa manière. Dans son deuxième roman, Fatma Aydemir raconte l'histoire d'une famille pleine de désirs et de déceptions, et qui malgré toutes ses contradictions internes, tente de se retrouver.  

Aydemir: Dschinns © Hanser « Qu'est-ce qu'un djinn ? », demande Ümit, quinze ans, à sa grande sœur Peri. C'est la nuit et iels sont assis dans l'appartement d'Istanbul que leur père Hüseyin a acheté pour sa retraite. Mais alors qu'il quitte l'Allemagne pour Istanbul, plein d'enthousiasme, afin de s'y installer, Hüseyin meurt le jour même des suites d'une crise cardiaque au milieu du couloir de l'appartement. Un djinn, explique Peri, est quelque chose d'inexplicable, quelque chose que les gens trouvent bizarre et anormal, qui n'est ni bon ni mauvais. Elle pense que chacun a probablement son propre djinn – est possédé par lui. Dans la famille de Peri, tout le monde est possédé par quelque chose : un passé étouffé; une quête d'indépendance; des attentes non satisfaites de parents; un pays, une société qui les persécute, refuse de les accepter, voire les brûle. 

Qui sommes-nous ? 

Le nouveau roman de Fatma Aydemir, Djinns, se déroule à la fin des années 1990, entre autres dans une petite ville d'Allemagne de l'Ouest, et raconte l'histoire des frères et sœurs Sevda, Hakan, Peri et Ümit ainsi que de leurs parents Emine et Hüseyin. Les protagonistes sont fondamentalement différents et pourtant, iels sont liés par les déceptions, les aspirations, les attentes et les mensonges communs qui se transmettent au sein de la famille et qui l'animent et la démoralisent à la fois. Hüseyin est mort et pourtant la figure du père de famille jette de grandes ombres sur les récits de ses enfants et de sa femme. Qui était cet homme qui est venu d'un village kurde en Allemagne au début des années 1970 et qui a travaillé toute sa vie, jour après jour, dans une usine de métallurgie ? Pourquoi n'a-t-il pas fait plus, pourquoi s'est-il caché ainsi ? se demande son fils. Pourquoi n'a-t-il jamais parlé davantage de sa période avant l'Allemagne, que s'est-il passé à l'époque ? se demande sa fille. De quoi avait-il peur ? Et pourquoi n'a-t-il plus jamais parlé dans sa langue maternelle ? 

Bagages émotionnels 

La famille se rend aux funérailles de Hüseyin à Istanbul. Iels arrivent tous avec leurs propres bagages intérieurs. Le plus jeune, Ümit, n'a pas le droit d'aimer celui qu'il veut. Il est alors traîné par son entraîneur de football chez un psychologue désagréable, qui tente de le soigner par des moyens douteux, sans que sa famille en soit informée. Peri, qui se politise pendant ses études, fait la fête et vit dans une grande ville, porte en elle de plus en plus de questions sur son identité, auxquelles ses parents ne peuvent ou ne veulent pas répondre. Hakan, qui veut bien faire et qui pourtant fait tout de travers, est déchiré entre les attentes de son père à son égard et les possibilités limitées que lui offre sa vie. Sevda, qui a dû se battre pour mener une vie indépendante et qui ne pardonne pas beaucoup à sa mère, se sent toujours hantée par les occasions manquées et les injustices qu'elle a dû subir. Et Emine, qui en tant que mère, essaie de garder tout le monde ensemble parce qu'elle a perdu quelque chose si tôt, et qu'elle ne peut toujours pas se le pardonner à ce jour. 

Polyphonie et ambivalence 

Chaque personnage se déploie dans sa complexité dans l'un des cinq chapitres. Grâce à cette polyphonie et au dialogue entre le récit et le.la lecteur.trice, les conflits entre eux deviennent ambivalents. Ils acquièrent une profondeur et montrent comment les problèmes sont transmis d'une génération à l'autre, comment la colère et la déception des uns trouvent leur origine dans la douleur des autres. Ces conflits et la quête de reconnaissance et de soutien de tous dans un pays qui ne cesse de leur montrer à quel point ils sont indésirables ont quelque chose d'immensément humain. Ce sont des voix et des personnages qui sont encore trop peu représentés dans la littérature germanophone, qui se diversifie lentement, et qui ouvrent un espace de discours important.  

« La famille n'est peut-être rien d'autre que cela, une structure composée d’histoires », écrit Aydemir. Ce roman est lui aussi une structure composée d'histoires - elles sont finement ajustées les unes aux autres. 
 

Fatma Aydemir: Dschinns. Roman Rosinenpicker © Goethe-Institut / Illustration: Tobias Schrank
München: Hanser, 2022. 368 S.
ISBN: 978-3-446-26914-9
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