Migration et altérité dans les livres d‘images
Raconter avec retenue mais sans enjoliver

Dépasser ensemble le fait d'être étranger : « Am Tag als Saída zu uns kam »
Dépasser ensemble le fait d'être étranger : « Am Tag als Saída zu uns kam » | © Peter Hammer Verlag

De nouveaux livres publiés par des maisons d'édition allemandes font découvrir aux enfants la migration, la guerre et la xénophobie.

Cela ne fait aucun doute : chez eux leur vie n'est plus aussi sûre. Aussi différents soient-ils par leur origine et leur destin individuel, ils s'unissent pourtant et se mettent en route. Le début de l'un des plus célèbres contes allemands, Les Musiciens de Brême issu du recueil des Frères Grimm, rappelle le destin que partagent aujourd'hui des centaines de milliers de réfugiés. La phrase même que prononce l'âne dans la version des Frères Grimm, et que nombre d'interprétations postérieures du conte omettent, s'applique à eux : « Partout nous trouverons mieux que la mort. »
 
Migration, expulsion et voyages imprévisibles sont des thèmes récurrents dans les contes de Grimm. Mais aussi clairement que résonnent certains de ces sujets dans les défis sociétaux de notre époque, les livres des productions éditoriales actuelles se prêtent mieux à traiter ces grands thèmes avec retenue, pour son jeune public en école maternelle ou en âge préscolaire. En Allemagne, les maisons d'édition ont publié une multitude de livres pour enfants abordant la migration et le fait d'être étranger. Ils sont l'occasion de parler de ces sujets avec les plus jeunes et mènent à la compréhension, réciproque dans le meilleur des cas, entre les réfugiés et les personnes qui les voient finalement arriver chez eux.

Un jeu poétique avec des mots étrangers

Dans le livre pour enfants Am Tag, als Saída zu uns kam (« Le jour où Saída est arrivée chez nous ») de Susana Gómez Redondo, illustré par Sonja Wimmer et paru en février 2016 chez Peter Hammer Verlag, une turbulente petite fille parle d'une camarade de son âge, silencieuse et triste, qui arrive tout juste du Maroc. On lit sur l'une des premières pages : « Le jour où Saída est arrivée chez nous, j'ai su tout de suite que je l'aimerais toujours beaucoup ». Elle entend enfin que sa nouvelle amie n'est absolument pas muette : « Peut-être qu'elle ne voulait simplement pas parler sa langue parce qu'elle est différente de la nôtre ». Les deux petites filles pointent des objets du doigt, les appellent par leur nom, apprennent l'une de l'autre, et les lettres arabes, l'écriture et la sonorité de cette langue font la joie de notre petite élève dissipée. La découverte mutuelle devient un jeu poétique fait d'images idylliques remplies de mots et de signes qui rapprochent toujours plus les deux enfants. Dépasser le fait d'être étranger est si simple et si beau quand on sait tout de suite que l'on va bien s'entendre.

La xénophobie abordée à travers des images sombres

“Die Insel”; “Die Insel”; | © Armin Greder/FISCHER Sauerländer Dans son livre pour enfants intitulé Die Insel (« L’île »), publié en 2002 et réédité par la Sauerländer Verlag, Armin Greder nous raconte où cela mène de vouloir aussitôt renvoyer quelqu’un chez lui, alors même qu’il vient d’arriver. L’homme échoué sur la plage dans son radeau « n’est pas comme eux », les habitants de l’île l’ont vu immédiatement : il est nu. Le pêcheur sait que l’homme serait mort en mer, « alors ils l’ont accueilli ». Puis des hommes gras et furieux brandissent balais, râteaux et fourches et se fondent sur le naufragé. C'est ainsi qu'est l'accueil dans un monde où l'on n'a rien de mieux à offrir à un étranger qu’une étable et de la nourriture pour les cochons. Pris malgré tout par la peur, les habitants de l'île se poussent les uns les autres à la révolte, jusqu’à ce que la meilleure chose à faire selon eux soit de renvoyer cet homme à la mer, sur son radeau. Une sombre histoire illustrée à travers des images sombres, un message clair pour les jeunes enfants qui apprennent de manière saisissante ce qu’est la xénophobie, et à quel point celle-ci n’a que peu de rapport avec l’étranger lui-même.

De nouveaux départs difficiles

“Bestimmt wird alles gut”; “Bestimmt wird alles gut”; | © Klett Verlag Bestimmt wird alles gut (« Tout ira bien c’est certain ») de Kirsten Boie, paru en janvier 2016 chez Klett Kinderbuch, est déjà porteur d’espoir dans son titre, et cet espoir accompagne à travers toute l’histoire ces deux frères et sœurs de Homs âgés de neuf et dix ans, Hassan et Rahaf. L’auteure de livres pour enfants raconte avec retenue et précaution, toutefois sans enjoliver, que leur vie va finalement s'améliorer dans l'ensemble, mais que la belle vie est encore loin. Elle n’exige pas de ses héros ou de ses lecteurs d’être des victimes de bombardements, à l’aube de la mort dans une ville dévastée, ou des naufragés d’une traversée dangereuse de la Méditerranée. Pourtant elle donne parfaitement à voir ce que les réfugiés ont enduré, et ce qui les attend lorsqu’ils arrivent en Europe. Après trois mois passés dans un camp d’accueil d’urgence, les enfants sont séparés du nouvel ami qu'ils se sont fait. Dans la classe, certaines petites filles se rapprochent de Rahaf avec curiosité, mais la barrière de la langue les éloigne rapidement de la jeune Syrienne. Le livre s’achève, et l’espoir du père de pouvoir retravailler comme médecin en Allemagne ne se réalise pas. Cette famille de six se partage toujours une chambre prévue pour trois, aménagée dans un ensemble de préfabriqués. Mais lorsque le père sera témoin d’un accident dans la rue, il pourra apporter son aide avant l’arrivée du médecin d’urgence et ainsi montrer ce qu’il sait faire.

La moitié inférieure de chaque page du livre offre la traduction arabe de l’histoire et certains mots et phrases sont proposés dans les deux langues à la fin : « Comment t’appelles-tu ? », « Ça te dit ? » ou encore « Tu veux être mon ami ? ». Mais aussi « Laisse-moi tranquille ! » et « Je n’ai pas envie ! ». Ce livre n'aborde pas simplement le nouveau départ que certains prennent dans un pays étranger, il tente également de le faciliter.