La musicienne et artiste Polly aime l’ouverture et le non prédéfini.
Lorsque nous descendons de voiture, il tombe une fine pluie. Devant nous une vaste étendue presque déserte. L’espace est bordé sur sa gauche par une rangée de nouvelles constructions, derrière dans ce ciel brouillardeux se dresse la tour de la télévision; à droite, on perçoit en bordure un boisé. Comme perdu sur ce grand terrain, un berger fait paître son petit troupeau. À la suite de Polly, je franchis une butte de terre meuble, traverse un sol recouvert d’herbe brune aussi moelleux qu’un tapis de mousse avant de parvenir à un ensemble de pins épars. C’est ici qu’elle aime s’attarder : un entre-deux, ni forêt, ni espace découvert.
Polly aime cet immense terrain vague au nord de Munich, justement parce qu’il est si peu ordonné. Il y a quarante ans de cela, il y avait ici un terrain d’entraînement militaire, ce qui explique le nom que porte cet endroit encore aujourd’hui : die Panzerwiese (le pré aux chars d’assaut). On avait prévu autour des années 1990 de construire des maisons d’habitation précisément là où autrefois on jouait à la guerre. Mais, selon une expertise, il y avait ici 23 espèces de plantes et 35 d’animaux en voie d’extinction. C’est la raison pour laquelle on a seulement urbanisé le sud. Depuis 2002 la partie nord est un site naturel protégé.
Il y a quelques années, des gens circulaient sur ce terrain, en voitures ou en motos. Il y avait et il y a beaucoup de place, un “espace excessivement grand, qui peut rester inoccupé et qui n’a été ni ratissé, ni traité, ni aménagé”, dit Polly. La Panzerwiese n’est ni parc, ni forêt, elle est un pan de nature, tout en étant citadine. Elle appelle cet endroit “un désert urbain... où on ne devine aucune logique”. Pourquoi des arbres ici et plus loin non? D’où sort tout à coup ce troupeau de moutons? Polly apprécie que cet espace s’appelle encore Panzerwiese, même si le contexte a changé. Autrefois elle y venait souvent et faisait des prises de vue pour ses vidéos artistiques. Et puis, pour elle, ce site est tombé dans l’oubli. Mais depuis quelque temps elle a redécouvert l’endroit comme un espace où “des choses peuvent se produire et où l’on peut évoluer librement”.
Cette ouverture et cette liberté se reflètent aussi dans le travail artistique de Polly. Chez elle, cela veut dire d’abord s’accorder de la liberté dans la vie, travailler sans engagement fixe et sans directive et, bien au contraire, attendre cette idée créative qu’elle se doit absolument de mettre à exécution. Tout comme la Panzerwiese, ces idées veulent être découvertes. Elles constituent la base des concepts artistiques complexes de Polly.
Polly a fait pendant deux ans des études de contrebasse de jazz et puis elle a cessé. Elle a son groupe - Pollyester - avec lequel elle va souvent en tournée. Elle appelle son style de musique
“Munich Disco”. Parallèlement, elle est également impliquée dans d’autres ensembles. Une chose caractérise la scène musicale munichoise : il y a relativement peu de gens, mais ils forment par contre des réseaux et font ensemble des choses très différentes. Ce qui distingue Polly, c’est le travail collectif. Bien des créations naissent d’échanges avec d’autres artistes.
Ces dernières années, Polly écrit beaucoup de musique pour le théâtre. Elle a par exemple écrit la musique de Kinderkriegen (Avoir des enfants) une pièce de Katrin Röggla présentée au Résidenztheater. Elle a mis en scène au Maximiliansforum Pollys Parking Lot, un happening musical. Pendant des années, elle a organisé tous les mois un party (Zombocombo) où se mêlaient hystérie et extravagances - avec un attrait pour les jeux de rôle et même le vandalisme . “J’étais au début de la vingtaine et aimais aller dans les partys. Mais dans notre ville nous ne trouvions pas grand chose à notre convenance.” C’est pourquoi Polly et ses amis ont fait eux-mêmes leur party.
Et puis elle était à Mexico pour y tourner un film. Il y est question du Dia de los Muertos, la fête des morts au Mexique et d’une comparaison avec la Toussaint catholique. Le film doit sortir en 2016 et par ailleurs, sera peut-être transformé en vue d’un projet scénique interdisciplinaire.
Les nombreux réfugiés qui arrivent à Munich la touchent beaucoup. À l’âge de neuf ans, Polly a, du jour au lendemain, dû elle-même quitter son pays. Venant de Minsk, elle arrivait avec sa mère à Munich. En ce moment, il importe, selon elle, que tout un chacun fasse quelque chose pour que la situation se détende. “J’ai donné tout ce que j’avais à ma disposition”. Elle a aussi donné des
concerts-bénéfice, par exemple à Passau pour les personnes qui apportent leur aide aux réfugiés. Mais elle ne veut pas faire étalage de son engagement. “L’aide”, dit Polly, “c’est quelque chose qui se pratique dans la discrétion.”
Elle peut difficilement comprendre que certaines personnes ne soient pas émues par la situation des réfugiés. “Ce n’est tout de même pas difficile de s’imaginer ce que ce serait lorsqu’on perd son chez-soi et qu’on se retrouve avec une valise ou même rien du tout.” Le traumatisme du déracinement a eu sur Polly des effets durables. Elle ne veut plus s’installer confortablement quelque part. Elle ressent certes quelque chose pour l’endroit où elle vit, mais elle ne veut pas le considérer comme une valeur garantie. C’est là qu’apparaît en elle cette parcelle de Panzerwiese - il doit rester beaucoup de place pour les surprises, peu de choses doivent être fixées ou déjà prêtes. De la ville où elle vit elle dit finalement : “J’ai beau aimer Munich, il faut toujours que j’aille ailleurs.”