Sur le féminisme au Québec
Pour les femmes et tous les autres

Exposition « Hunger » de Jillian McDonald, 2017
Exposition Hunger de Jillian McDonald, 2017 | © La Centrale

Cerner le féminisme québécois et en faire le portrait dans le cadre d’un article revient à se poser plusieurs questions, comme celle-ci : par où commencer ? L’art et la culture étant mes assises personnelles et professionnelles, j’oriente automatiquement ma pensée vers les sphères artistiques qui m’entourent. Je propose un survol du féminisme québécois, similaire à une grande introduction, marqué de mon point de vue individuel, alimenté de mes expériences et des milieux que je fréquente.

Le féminisme se trouve partout au quotidien et nulle part en même temps. Vaste, il s’enracine lentement depuis plusieurs années. La condition actuelle des femmes au Québec résulte entre autres du passé : la lutte de plusieurs militantes à travers l’histoire résonne jusqu’aujourd’hui. Ce combat converge petit à petit vers l’égalité et le respect entre homme et femme. Les jalons qui constituent l’histoire du féminisme donnent une certaine perspective sur le contexte d’aujourd’hui. En octobre 2017, l’historienne et conférencière Micheline Dumont recevait le Prix du gouverneur général en commémoration de l'affaire « personne ». Ce prix récompense l’implication de Canadiennes dans la cause de l’égalité des sexes. Il faut remonter en 1929 où cinq militantes canadiennes (Emily Murphy, Nellie McClung, Irene Parlby, Louise McKinney et Henrietta Muir Edwards) ont obtenu la reconnaissance des femmes au statut de personne à part entière au sens de la Constitution canadienne. Micheline Dumont, très impliquée en matière féminine, est une spécialiste de l'histoire des femmes au Québec. Elle a publié en 2003 un ouvrage historique intitulé La pensée féministe au Québec : anthologie, 1900-1985 en collaboration avec l’auteure Louise Toupin.

À l'ombre des mots

Nous avons tendance à oublier que certains droits acquis par les femmes n’ont été octroyés que depuis quelques décennies. Le droit de vote des Québécoises est l’un de ces cas. Pendant que les Canadiennes au niveau fédéral ont obtenu le droit de vote comme « récompense » en 1920 pour leur participation à l’effort de la guerre 1914-1918, alors en 1922, dans toutes les provinces canadiennes, les femmes ont le droit de vote, sauf le Québec. Se formera alors en 1921 le Comité provincial du suffrage féminin dont les coprésidentes sont Marie Gérin-Lajoie et Anna Lyman. 400 femmes se sont rendues dès février 1922 au Parlement de Québec réclamer le suffrage. Thérèse Casgrain, l’une des figures majeures de cette lutte, revitalise le Comité provincial par le nom de Ligue des droits de la femme en 1929. À force de persévérance, les Québécoises ont obtenu le suffrage en 1940.
 
L’avancement des femmes au Québec vers l’épanouissement et l’émancipation nous le devons à des militantes, et à maintes artistes, penseures, organismes culturels, etc. Une réflexion d’auteure à souligner demeure celle de Madeleine Gagnon qui partage et brosse la condition humaine. Poète, romancière et essayiste, elle a écrit une quarantaine d'ouvrages depuis 1968. Au fil du temps, elle a reçu de nombreuses récompenses : en 2002, le prix Athanase-David pour l'ensemble de son œuvre. En 2007 est paru À l'ombre des mots. Poèmes 1964-2006, une rétrospective de ses textes poétiques. Monique Durand, journaliste qui a commandé à Gagnon le livre Les femmes et la guerre, décrit ainsi ce qui l’interpelle chez l’auteure : « J’avais choisi Madeleine Gagnon pour sa façon de raconter et sa façon de penser la vie, la mort, le féminin, le masculin. Quelqu’un qui saurait écrire la complexité, la si grande complexité du monde et des sentiments » (de: Gagnon, Madeleine. 2000. Les femmes et la guerre, Montréal : vlb éditeur, p. 14). Toutes les deux ont parcouru pendant l’année 1999-2000 les Balkans jusqu’au Proche-Orient puis l’Asie du Sud. Elles y ont interviewé des femmes vivant en contexte de guerre : il résulte de ces rencontres des témoignages qui reflètent de grandes souffrances, et qui prononcent également de riches leçons de courage et d’humanité.

souvent risqués, mais toujours nécessaires 

Marie-Louise Arsenault, Noémie Désilets-Courteau et al Illustratrice Sarah Marcotte-Boislard, Abécédaire du féminisme, Montréal, Éditions Somme Toute, 2016, 232 pages Abécédaire du féminisme | © Éditions Somme Toute Toujours dans la veine de la littérature, l’Abécédaire du féminisme représente un ouvrage incontournable sur le féminisme publié en 2016. Ce livre qui s’inspire d’un segment du même nom de l’émission littéraire Plus on est de fous, plus on lit! à la radio de Radio-Canada est un lexique très complet du mouvement féministe. Illustrés par Sarah Marcotte-Boislard, les textes de Noémie Désilets-Courteau proposent un panorama des grands thèmes du féminisme (égalité, maternité, genre, sexualité, etc.) tout en nous informant sur les pionnières et militantes des différentes vagues du mouvement.
 
Le Québec compte à son actif une multitude de ressources littéraires engagées. Un exemple essentiel est sans contredit Les Éditions du Remue-ménage dont le mandat « consiste à faire avancer la réflexion sur la condition des femmes et sur les questions du genre, en explorant des thématiques et des approches novatrices, en faisant connaître de nouvelles auteures ainsi qu’en soutenant le travail d’auteures accomplies. Nous publions des livres souvent risqués, mais toujours nécessaires » (de: Site Internet Les Éditions du Remue-ménage, 3 mars 2018). Sortie en 2013, Les femmes changent la lutte. Au cœur du printemps québécois représente une anthologie à souligner tirée de leur corpus. Karine Philibert, féministe, militante et infirmière en santé mentale est coauteure de Sous la direction de Marie-Eve Surprenant et Mylène Bigaouette, Les femmes changent la lutte. Au cœur du printemps québécois, Montréal, Les Éditions du Remue-ménage, 2013 Les femmes changent la lutte | © Les Éditions du Remue-ménage l’article «Femmes au front : les infirmières dans la lutte». Membre du collectif des infirmières contre la hausse des frais de scolarité, Karine Philibert livre un témoignage sur son implication et sa participation citoyennes pendant les événements entourant la grève étudiante au printemps 2012. Elle dénonce les difficultés encourues dans un contexte de répression sociale, politique, policière, etc. et le jugement sévère de certains pairs auquel elle et ses collègues infirmières ont dû faire face. Par exemple, en regard de leur position publique : quelques professionnels de la santé ont même avancé que l’exercice des soins infirmiers devrait être apolitique.
 
Le paysage politique et féministe n’est pas complet sans mentionner la pratique artistique de femmes autochtones, métis et issues des Premières nations. Elles travaillent fort à valoriser et transmettre leur culture, contribuant ainsi à donner un éclairage sur leur héritage qui a si longtemps été réprimé. Signalons entre autres deux femmes qui se démarquent pour leurs implications. Étudiante en histoire de l’art à l’Université Concordia, la commissaire et auteure de descendance crie-Métis-Saulteaux Lindsay Nixon est nommée la première éditrice autochtone depuis 2017 pour la revue Canadian Art. Sa pratique interroge et critique des thèmes qui traitent de l’art autochtone . Elle est l’une des fondatrices de la maison d’édition indépendante Critical Sass Press. Provenant de la nation abénaquise, Alanis Obomsawin réalise des films documentaires depuis les années 60. En 2017, elle signait son cinquantième film avec Le chemin de la guérison qui défend l’histoire, la langue et la culture des peuples autochtones d’une communauté crie du Manitoba.
 
En outre, il existe des lieux physiques, des espaces démocratiques rassembleurs, qui perpétuent des valeurs et préoccupations féministes. S’affirmant comme un espace convivial, la librairie Euguelionne, spécialisée en littérature des femmes et ouvrages féministes (étendus aux queer, lesbiens, gais, bisexuels, trans, intersexes, asexuels et agenres, two-spirited, anti-racistes, anti-coloniaux, etc.) propose des causeries, lancements, débats, tables rondes sur divers sujets actuels qui touchent ces communautés.
 
Des centres d’artistes autogérés consacrés aux femmes artistes ont vu le jour à Montréal dans les années 70 et 90 dans le but d’offrir une place aux pratiques féminines et genrées au sein d’un monde artistique dominé par les hommes. Incorporée en mai 1974, La Centrale galerie Powerhouse est vouée à la diffusion et au développement des pratiques féministes pluridisciplinaires, soutient des démarches et des artistes peu visibles dans les institutions culturelles dominantes. Sa programmation offre une voix et un dialogue entre féministes et véhicule des idées qui se situent entre l’intersectionnalité et la justice sociale.
  Unlock: Expériences genrées des technologies avec  Cornelia Sollfrank Unlock: Expériences genrées des technologies avec Cornelia Sollfrank au Studio XX | © Martine Frossard Dans le milieu des arts médiatiques, Le Studio XX fondé en 1996 par Kim Sawchuck (Ph. D. et professeure), Patricia Kearns (cinéaste), Kathy Kennedy (artiste sonore) et Sheryl Hamilton (cybernéticienne) offre également un espace démocratique en présentant des ateliers, des expositions et des activités qui posent un regard critique et engagé sur les pratiques actuelles d’artistes s’identifiant comme femmes, trans ou dissident-e-s. De 2004 à 2015, le Studio XX a produit 32 numéros de la revue féministe d’art et de culture numérique en ligne .dpi, plateforme dédiée aux échanges créatifs, critiques et socialement engagés concernant les féminismes et les technologies.
 
Le féminisme québécois d’aujourd’hui est l’aboutissement d’un long travail qui demeure en processus. Il reste encore beaucoup à faire afin d’atteindre une réelle équité. De manière à préserver les acquis et gagner davantage de justice, il est souhaitable de soutenir et d’encourager les dynamiques activités autour du féminisme. L’éducation, la recherche, la solidarité et le partage font partie des clés de la réussite.