Asile et réfugiés
Bienvenue aux refugiés - films documentaires allemands

Land in Sicht (« Terre en vue ») (2013), de Antje Kruska et Judith Keil – malentendus interculturels, tantôt comiques, tantôt tragiques
Land in Sicht (« Terre en vue ») (2013), de Antje Kruska et Judith Keil – malentendus interculturels, tantôt comiques, tantôt tragiques | Photo (detail): © Basis Filmverleih

Les médias dépeignent souvent les réfugiés comme une menace au statu quo. Cependant, plusieurs films documentaires engagés portent un regard plus nuancé sur ces personnes pour qui la fuite vers l’inconnu devient l’unique réponse à la marginalisation, la violence ou la mort dans leur patrie.

Le film documentaire Revision (2012) de Philipp Scheffner s’ouvre sur un court article de journal. En 1992, deux hommes roumains ont été abattus par des chasseurs allemands dans un champ de blé dans le Mecklenbourg-Poméranie-Occidentale, près de la frontière germano-polonaise. Les auteurs expliquent qu’au crépuscule, ils auraient pris les Roumains pour des sangliers. Après une courte enquête, les deux chasseurs sont acquittés. L’affaire est mise de côté; la mort des hommes reste impunie.

Vingt ans plus tard, Scheffner soumet l’affaire à une enquête poussée. Au cours de sa recherche, il prend contact avec les familles et les amis des victimes. À sa grande surprise, il découvre qu’on n’avait jamais pris la peine de les informer de l’affaire judiciaire, ni même de les interroger comme témoins. Dans son documentaire, Scheffner a développé une méthode inhabituelle qui a permis aux familles des défunts d’avoir leur mot à dire. Après avoir été filmées, les familles ont écouté leurs déclarations devant la caméra une seconde fois pour se faire une idée de leur effet. Les spectateurs du film ne voient donc pas des personnes endeuillées qui fondent en larmes, mais plutôt des interlocuteurs confiants qui sont très conscients de leur impact médiatique. Ainsi, Revision livre une réflexion peu ordinaire sur les conventions de l’approche documentaire.

DéCONSTRUCTION de STéRéOTYPES


Ils recherchent la liberté, ont souvent idéalisé leur nouveau foyer, et débarquent dans un camp de réfugiés : si vous demandez l’asile en Allemagne, vous devez normalement vivre dans un centre de réfugiés pendant des mois, parfois même des années, et vous ne pouvez pas vous déplacer librement dans le pays. Au cours des dernières années, des manifestations politiques et sociales se sont multipliées pour dénoncer ces conditions. Les cinéastes Antje Kruska et Judith Keil ont également abordé la question. Dans Land in Sicht (« Terre en vue ») (2013), elles décrivent la vie de trois réfugiés qui doivent attendre que leur statut de réfugiés soit clarifié et que la question de permis de travail soit résolue. 

Abdul du Yémen, Brian du Cameroun et Farid de l’Iran ont rejoint leur nouvelle patrie avec des notions très différentes de la vie en Allemagne. Tous les trois se sont d’abord retrouvés dans un centre de réfugiés dans la petite ville brandebourgeoise de Bad Belzig. Ils ont été confrontés à l’arbitraire des autorités publiques, mais ils ont aussi rencontré des gens qui leur ont ouvert la porte sur la vie quotidienne en Allemagne. Ces rencontres ne sont pas sans malentendus interculturels, tantôt comiques, tantôt tragiques, lorsque, par exemple, ils tentent de comprendre la langue officielle des services de recrutement du gouvernement fédéral allemand. De tels moments démontrent à quel point les clichés et les préjugés persistent des deux côtés, mais qu’il est néanmoins possible de les surmonter. Pour leur portrait cinématique empathique et nuancé, Kruska et Keil ont reçu le Prix du film documentaire du Goethe-Institut en 2013.

comédie involontaire d’une int      égration prescrite 

Dans son film Werden Sie Deutscher (« Devenez allemand ») (2013), Britt Beyer a accompagné les participants d’un cours d’intégration à Berlin-Neukölln pendant dix mois, en classe et dans la vie de tous les jours. La loi allemande sur l’immigration peut obliger les étrangers qui souhaitent vivre en permanence en Allemagne à suivre ces cours. Le programme comprend non seulement des cours de langue, mais aussi un objectif beaucoup plus complexe : l’intégration dans la société allemande. Werden Sie Deutscher traite ses personnages principaux sur un même pied d’égalité; la caméra enregistre les humeurs, les irritations et les moindres gestes. Le montage habile révèle l’absurdité d’essayer d’enseigner comment devenir Allemand par le biais d’un cours intensif. Beyer le fait d’ailleurs sans commenter. Ainsi, le spectateur formule sa propre opinion. Cette approche « mature » de la présentation ne cherche pas à porter de jugement et laisse la possibilité aux spectateurs de le faire par eux-mêmes.

témoins de l’absurdité


Dans Can’t be Silent (2013), Julia Oelkers se passe également de commentaires. Elle documente la tournée de Strom & Wasser feat. The Refugees, un groupe composé de musiciens allemands et de musiciens d’ailleurs qui ont fui vers l’Allemagne. Le film démontre clairement à quel point la portée d’un réfugié est limitée, qu’elle soit physique ou émotionnelle. Sur scène, le musicien est une star acclamée. Une fois les rideaux tombés, il ne lui reste que le chemin du retour vers le camp clôturé et la peur d’être déporté. Oelkers laisse cette absurdité ronger les spectateurs. Elle sait qu’en étant témoins de Nuri, de Revelino et des autres réfugiés, les spectateurs poseront un regard différent sur la question de « l’asile ».